Les "ratés" de la candidature devant le conseil d’Etat

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Deux contentieux relatifs à l’insuffisance des capacités professionnelles du candidat sélectionné pour exécuter un marché sont sur les tablettes du conseil d’Etat. Dans les deux cas, la haute juridiction aura à juger si l’analyse de la candidature, opérée par le pouvoir adjudicateur, et contestée par des entreprises rejetées, était conforme.

La première affaire concerne la métropole du Grand Nancy et la Sem Lorraine aménagement urbain : les deux entités contestent l’annulation de leur marché de travaux pour candidature incomplète de l’attributaire choisi. La seconde affaire est portée par le département de la Seine-Saint-Denis, lequel proteste contre l’annulation de son marché de médiation et de sécurité d’un  centre commercial pour avoir choisi un candidat dont les capacités professionnelles étaient manifestement  insuffisantes.  Dans les deux cas, Olivier Henrard, le rapporteur public, a proposé le rejet de leur demande d’admission du pourvoi  de cassation.

Une pièce contractuelle doit être exigée, malgré tout

Dans le cadre de la construction de l’école supérieure d’art de Nancy, la métropole et la Sem Lorraine aménagement urbain ont choisi, pour exécuter le lot « couverture et étanchéité », la société Shala. Il se trouve que cet opérateur n’a pas présenté, dans son acte de candidature, les attestations de bonnes exécutions de ses réalisations, au cours des cinq dernières années, exigées dans le RC. Pour leur défense, les deux personnes publiques ont avancé qu’elles disposent d’un large pouvoir d’appréciation et que, en l’espèce, les capacités professionnelles du soumissionnaire choisi ressortaient de l’ensemble du dossier.

Aucun élément probant faisant la démonstration que l’entreprise choisie avait les capacités professionnelles d’exécuter le marché

« Il n’en demeure pas moins que le RC demandait explicitement les attestations en question et que le pouvoir adjudicateur n’a pas invité l’entreprise à compléter son dossier », a commenté Olivier Henrard. Dès lors, impossible d’en faire l’impasse. Cette « négligence » a affecté le choix de l’attributaire, selon le rapporteur, car le dossier ne contient aucun élément probant faisant la démonstration que l’entreprise choisie avait les capacités professionnelles d’exécuter le marché. En outre, Shala n’a pas présenté de certificat de qualification dans son dossier. A la lumière de cette analyse, Olivier Henrard a conclu que le lien de causalité direct entre la procédure de sélection de la candidature du pouvoir adjudicateur et l’éviction du groupement d’entreprises requérant, classé deuxième, est démontré. Ce dernier avait de sérieuses chances de l’emporter. Le rapporteur public a donc a donc proposé le rejet la demande de pourvoi la métropole de Nancy et de la Sem Lorraine aménagement urbain.

Dossier vide

Situation similaire pour le département la Seine Saint-Denis : la collectivité a retenu l’entreprise Orson sécurité, à l’issue d’une consultation, pour assurer la médiation et la sécurité d’un espace de prévention au sein du centre commercial Rosny 2 (MAPA en accord-cadre à bons de commandes). Or, cette société s’est contentée de présenter, à l’appui de sa candidature, des attestations bancaires. Elle ne compte pas de salariés, ni ne présente de capacités suffisantes.

Le juge a-t-il exercé un contrôle au-delà de ses prérogatives ?

La collectivité a défendu que le juge du référé précontractuel, qui a annulé la procédure et demandé de la reprendre au stade de l’examen des offres, a commis une erreur de droit, en exerçant un contrôle entier sur les capacités techniques, financières et professionnelles du soumissionnaire choisi, alors qu’il aurait dû s’en tenir à un contrôle de l’erreur d’appréciation. « Votre jurisprudence est effectivement engagée vers la limitation de l’appréciation de l’erreur manifeste d’appréciation par le juge du référé commise par la pouvoir adjudicateur dans l’appréciation des capacités des candidats (cf aff. Delta process, 7 sept. 2014)», a mentionné le rapporteur.

Un contrôle poussé, mais limité aux prérogatives du juge

Néanmoins, en l’espèce,  le juge, qui a consacré un très long point de motivation sur le contrôle des capacités d’Orson sécurité à exécuter le marché, s’est borné à détailler l’absence de justifications de l’entreprise en question, plutôt de se livrer à un contrôle entier de ses capacités professionnelles, financières et techniques, estime Olivier Henrard. Le haut magistrat fait d’ailleurs remarquer que le juge n’aurait pu le faire, au regard du peu de pièces présentes dans le dossier de la société de sécurité.

Le juge est resté dans son champ d'action

De fait, cette dernière s’est contentée de présenter une attestation bancaire au moment de sa création, pour prouver ses capacités financières, lesquelles ne révélaient en rien une capacité à faire. Quant aux moyens humains, le dossier a montré que l’entreprise n’avait jamais employé de salariés, depuis sa création, ni exécuté de prestation depuis l’obtention de son agrément. Le juge a donc bien procédé dans cette affaire à examiner l’erreur manifeste d’appréciation,et ce, même s’il n’a pas mentionné ce terme, dans son ordonnance, et même s'il aurait pu faire une analyse plus concise des capacités de l’entreprise, a estimé Olivier Henrard. Il a demandé aux sages du Palais Royal de ne pas s’en tenir à une approche formaliste de l'affaire, mais à la réalité du contrôle effectué. A ce titre, il a proposé le rejet du pourvoi du département de la Seine Saint-Denis