Le maître d’ouvrage et son mandataire sur la réserve

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Trois contentieux devant le Conseil d’Etat mettent à l’honneur la relation maître d’ouvrage-maître d’ouvrage délégué. Les décisions du mandataire s’apparentent-elles aux décisions du maître d’ouvrage ? Et en cas de faute du maître d’ouvrage délégué, le mandant est-il responsable conjointement ou uniquement ? Les sages du Palais Royal vont avoir l’occasion à nouveau de répondre à ces questions.

« Une habitude bien française consiste à confier un mandat aux gens et de leur contester le droit d’en user ». Cette citation du cinéaste et scénariste Michel Audiard caractérise bien les contentieux présentés la semaine dernière devant la haute juridiction. Dans la première affaire, la commune de Calais avait, pour assurer la maîtrise d’ouvrage de la construction de la Cité internationale de la dentelle et de la mode sur son territoire, fait appel à un maitre d’ouvrage délégué, la société d’équipement du Pas-de-Calais (SEPAC) aux droits de laquelle était venue la société Adevia. Pour la société Cabrol Construction Métallique, titulaire de ce marché, seule une décision expresse du maître d’ouvrage répondant au mémoire de réclamation de l’entrepreneur dans le cadre d’un différend sur le décompte général pouvait faire courir le délai de six mois à partir duquel l’entrepreneur peut porter ses réclamations devant le tribunal administratif (article 50-32 de l’ancien CCAG Travaux). Dans son dans un arrêt du 17 novembre 2016,  la cour administrative d’appel (CAA) de Douai s’est référée à la loi MOP et au contrat de mandat pour connaître les missions confiées au mandataire. Lequel stipule : « après la réception des travaux, la société aura encore la qualité pour, le cas échéant : notifier les décomptes généraux et définitifs et liquider les marchés ». Elle a donc jugé le maître d’ouvrage délégué apte à rejeter la réclamation adressé par le titulaire. Par ailleurs, elle a précisé d’une part l’absence de disposition légale ou réglementaire, en mentionnant que : « seule une décision émanant du maître de l’ouvrage et non de son mandataire aurait pu faire courir le délai prévu par l’article 50-32 », et d’autre part que le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu de notifier la convention de mandat aux entrepreneurs. Le rapporteur public devant le Conseil d’Etat, Gilles Pellissier, a suivi cette position, rappelant également l’article 3 de la loi MOP. Le maître d’ouvrage a la liberté de faire appel à un mandataire pour lui confier l’exercice, en son nom et pour son compte, de tout ou une partie des attributions de la maîtrise d’ouvrage.  Un maître d’ouvrage délégué permet à un pouvoir adjudicateur de s’entourer d’une personne compétente pour répondre aux difficultés inhérentes au domaine de la construction.  Dans la deuxième affaire, le centre hospitalier Ravenel ne l’a pas jugé utile. Elle a poursuivi des entreprises à la suite de fissures d’une façade, leur réclamant 75 000 euros. Mais la CAA de Nancy n’a pas donné suite, tout simplement en raison de la prononciation de la réception des travaux sans réserve par le maître d’ouvrage, alors même que le procès-verbal des opérations préalables à la réception établi par le maître d’œuvre faisait figurer les imperfections et les malfaçons non corrigées. La garantie de parfait achèvement ne peut donc jouer car les désordres étaient apparents à la date de la réception.  La responsabilité du maître d’œuvre pour manquement à son devoir de conseil est également écartée. La procédure d’admission du pourvoi en cassation a donc peu de chance d’aboutir.

La recherche de responsabilité du maître d’ouvrage délégué


La relation entre le maître d’ouvrage et son mandataire peut s’envenimer. Surtout lorsque l’indemnité auprès des entrepreneurs s’élève à plus de 550 000 euros en raison d’une faute de la maîtrise d’ouvrage. Telle est la mésaventure vécue par le centre hospitalier du Lamentin (qui a fusionné aujourd’hui avec le centre hospitalier universitaire de Fort-de-France). Cet établissement a été condamné en première instance pour compenser les dépenses supplémentaires induites par le retard de la construction d’un bâtiment. Le pouvoir adjudicateur avait pourtant eu recours à un maître d’ouvrage délégué, la société d’équipement de la Martinique (SODEM). Sauf que la faute commise par le mandataire est assimilable à une faute du maître d’ouvrage. Les tiers ne peuvent pas rechercher la responsabilité du maître d’ouvrage délégué car le mandataire agit au nom et pour le compte du maître d’ouvrage. Néanmoins le maître d’ouvrage, quant à lui, peut rechercher la responsabilité de ce dernier, notamment par un appel en garantie. En l’espèce cette demande a été entendue par la CAA de Bordeaux (arrêt du 10 décembre 2015). Condamnée au paiement de la moitié de l’indemnité, la SODEM s’est pourvue en cassation. Gilles Pellissier a proposé de retenir un moyen de dénaturation des faits portant sur l’une des fautes retenues à l’encontre de la maîtrise d’ouvrage (en l’espèce sur l’interprétation des deux mois de retard pour l’établissement d’un devis de travaux non prévus de démolition d’un ancien bâtiment). Si ses conclusions du maître sont suivies par le Conseil d’Etat, cela conduira d’abord à diminuer la part sur laquelle peut s’exercer la garantie du maitre d’ouvrage délégué. Avec la conséquence suivante : « la situation du centre hospitalier se trouvera aggravée par cette réponse au pourvoi principal, il sera recevable à contester sa propre responsabilité par un pourvoi provoqué. Pour le même motif, il sera mis hors de cause ce qui diminuera aussi sa propre condamnation (de moitié). En revanche, son pourvoi incident contre la SODEM, qui tend à ce que la garantie de cette dernière soit augmentée, sera rejeté puisque le motif de cassation partielle de l’arrêt conduit à réduire la condamnation du pouvoir adjudicateur et non à augmenter la garantie de la maîtrise d’ouvrage déléguée ». Dixit le rapporteur public.