Faute de l’architecte : qui doit payer la note ?
Le Conseil d’Etat va devoir se prononcer sur cette problématique épineuse : qui doit payer les travaux supplémentaires indispensables à la bonne exécution de l’ouvrage, résultant d’une faute de l’architecte ? Le maître d’œuvre fautif ou le maître d’ouvrage ? La réponse peut paraître évidente, et pourtant… Les juges ne sont pas d’accord entre eux et au fil des années des jurisprudences divergentes sont apparues. Soit la faute, à elle seule, permet au maître d’ouvrage de faire appel à garantie. Soit le maître d’ouvrage doit démontrer le surcoût découlant de la faute pour exercer cette action.
La faute, un élément d’exonération insuffisant
« Le maître de l’ouvrage est tenu de payer à l’entrepreneur les travaux supplémentaires, s’ils ont été prescrits par un ordre de service ou et si à défaut d’ordre, ils ont un caractère indispensable à la bonne exécution de l’ouvrage compris dans les prévisions du marchés » (CE, Section, 17 octobre 1975, Commune de Canari Corse) commence par rappeler Olivier Henrard, rapporteur public devant la haute juridiction. Ce principe serait-il absolu ? Les juges sont divisés sur les dérogations à apporter. Le premier courant est partisan d’exonérer le maître d’ouvrage en appelant en garantie l’architecte lorsque ce dernier commet une faute (CE, 26 mai 1993, n°75507).
Cette orientation, adoptée par la juridiction de première instance, a le mérite de responsabiliser le maître d’œuvre et d’éviter les risques de surcoûts injustifiés, reconnaît le rapporteur public. Quant à la cour administrative d’appel de Nancy (CAA), elle a une position plus nuancée, comme l’explique Olivier Henrard. La faute ne peut, par elle-même, permettre au maître d’ouvrage de s’affranchir du paiement. S’il prend de toute façon en charge le coût des travaux supplémentaires d’une part et si, d’autre part, le manquement du maître d’œuvre n’a pas privé le maître d’ouvrage des éléments lui ayant permis de renoncer au projet, avant passation, ou de l’amender au vu de son coût préalable, alors le maître d’œuvre ne peut être appelé en garantie (CAA Nancy, 12 mai 2016, n°14NC01089). Comme l’agglomération n’a pas pu le démontrer, la CAA de Nancy désolidarise la société Lipsky-Rollet et la condamne seulement, au vu des circonstances de l’affaire, à s’acquitter de moins de 1% du montant des travaux supplémentaires.Le maître de l’ouvrage est tenu de payer à l’entrepreneur les travaux supplémentaires, s’ils ont été prescrits par un ordre de service ou et si à défaut d’ordre, ils ont un caractère indispensable à la bonne exécution de l’ouvrage compris dans les prévisions du marchés
La preuve du surcoût à la charge du maître d’ouvrage
Les raisonnements antagonistes du TA de Châlons-en-Champagne et de la CAA de Nancy révèlent une opposition entre d’un côté la préférence donnée à la victime et, de l’autre, le souci de conserver l’équilibre du contrat, souligne Olivier Henrard. La décision du juge d’appel s’inscrit dans la jurisprudence du Conseil d’Etat du 8 mars 1989, n°61920. La haute juridiction avait rejeté l’appel en garantie d’une collectivité, tout en déclarant : « à supposer même que l’architecte ait commis des erreurs en ce qui concerne notamment les travaux supplémentaires, la commune n'établit pas que ces erreurs aient entraîné pour elle un surcoût ». Cette position est dans la continuité de ce principe (dégagé en matière de responsabilité décennale) : le coût des travaux nécessaires, pour les opérations réalisés afin d’assurer la conformité aux règles de l’art, est la charge du maître d’ouvrage même en cas de faute du prestataire. Pour le rapporteur public, la solution de la CAA de Nancy doit être privilégiée. Premièrement, elle est en phase avec la logique contractuelle, même si elle peut paraître injuste. Deuxièmement, il existe un risque d’un enrichissement par le maître d’ouvrage au détriment du constructeur fautif en faisant réaliser l’ouvrage à un prix inférieur à son coût réel.
Le coût net mis à la charge du maître d’œuvre
Toutefois, Olivier Henrard conteste l’arrêt de la juridiction d’appel concernant la répartition du coût. Pour celui-ci : « la faute commise par le maître d’œuvre, entraine pour le maître d’ouvrage un préjudice indemnisable qu’à hauteur des dépenses engagé au-delà de ce qui aurait dû être payé s’il avait été conseillé comme il aurait dû l’être ». Il fait référence à l’arrêt du CE, du 11 février 1970, n°71987 : « l’indemnité dû par l’architecte, dont la responsabilité est engagée, est égale à la différence entre d’une part, le coût de construction de l’ouvrage défectueux, les frais de sa démolition et le coût de la reconstruction, d’un ouvrage ayant la même destination, et d’autre part le coût d’un tel ouvrage si sa conception et sa réalisation n’avaient été entachées d’aucun vice ». Le coût ainsi obtenu est le coût net mis à la charge du maître d’œuvre. Mais le Conseil d’Etat ne se prononcera pas sur cette dernière problématique car « Le Grand Troyes n’a pas soulevé dans ses moyens que le montant des travaux y compris les travaux supplémentaires indispensables à la réalisation de l’ouvrage aurait excédé ceux qui auraient été nécessaires en l’absence d’un défaut de conception imputable au maître d’œuvre », conclut le rapporteur public.
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