Attention au mode d’emploi des sous-critères

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Quand un sous-critère ou un élément d’appréciation est susceptible d’influencer de manière significative la constitution des offres, le pouvoir adjudicateur doit porter à la connaissance des candidats les conditions de leur mise en œuvre. A partir de ce raisonnement, une entreprise, qui estimait qu’un sous-critère était imprécis et inintelligible, a récemment gagné un référé précontractuel.

Gagner un référé précontractuel, mission impossible ? La preuve que non. La société Archimed vient d’obtenir que le ministère des Armées, qui avait lancé un appel d’offres ouvert pour un accord-cadre à bons de commande destiné à réaliser et maintenir un système de gestion de bibliothèques numérique pour l’ensemble de son administration, revoit sa copie. Informée qu’elle était classée deuxième, le prestataire avait cherché à en savoir plus. Mais le ministère s’était contenté de lui envoyer ses notes. Le courrier laconique incite l’entreprise à entamer un contentieux. Que reproche le candidat malheureux au ministère ? L’entreprise soutient notamment que trois sous-critères, mentionnés dans le RC, devaient être regardés comme des critères d’attribution au sens de l’article 62 du décret de mars 2016, et que le pouvoir adjudicateur n’a pas donné le poids respectif de ces éléments. Elle estime aussi que le sous-critère  « présentation de la solution » est « imprécis et inintelligible » s’agissant du manuel utilisateur, et discriminatoire en ce qui concerne les « éléments permettant de juger de la robustesse et de la fiabilité du système ». letellier_0.jpg

La jurisprudence autorise à renvoyer vers le mémoire technique, mais dans ce cas précis, les choses n’étaient pas clairement exprimées. L’entreprise ne pouvait pas savoir ce qui allait être analysé

« Ce sous-critère comportait 30 points (sur 100), sans qu’on sache sur quelle base ils étaient attribués », argue Me Hervé Letellier, avocat au cabinet Symchowicz-Weissberg et associés, conseil d’Archimed (photo ci-contre). Le ministère des Armées réplique que les informations données dans le RC n’étaient en fait qu’une simple aide fournie aux candidats pour construire leur mémoire technique et qu’Archimed ne lui a pas demandé d’explications complémentaires. De son côté, la société requérante considère que le sous-critère technique incriminé a été analysé au regard d’éléments non affichés, une sorte de grille cachée. « La jurisprudence autorise à renvoyer vers le mémoire technique, mais dans ce cas précis, les choses n’étaient pas clairement exprimées.  L’entreprise ne pouvait pas savoir ce qui allait être analysé. Il y avait une partie totalement imprévisible à appréhender», poursuit Me Hervé Letellier. Or, un élément qui entre en compte de manière significative a une influence directe sur la façon dont le candidat va construire son offre. Le magistrat a donné raison à ce raisonnement et a annulé le marché.

Fournir les éléments susceptibles d’influer sur la présentation de l’offre


Dans son ordonnance, le juge du TA rappelle qu’il est nécessaire de fournir « une information appropriée » aux candidats dans l’AAPC ou le cahier des charges pour assurer le respect des grands principes de la commande publique. Si « le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d’autres critères que celui du prix », cette information « doit alors porter également sur les conditions de mise en oeuvre de ces critères ». Et dans le cas de figure où « le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en oeuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères, il doit porter à la connaissance des candidats leurs conditions de mise en oeuvre dès lors que ces sous-critères sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection », précise-t-il. « Le juge a estimé qu’il s’agissait d’un critère à part entière, que cet élément était décisif et qu’il fallait donc fournir une information claire à son sujet », résume Me Letellier. «Cette décision est une bonne chose. Dans ces cas-là, les entreprises ne savent pas comment elles vont être notées et les sous-critères cachés servent de variables d’ajustement ou, en tout cas, donnent cette impression. Plus ils seront détaillés, moins il y aura de subjectivité dans l’appréciation des offres », remarque son confrère Antoine Woimant, avocat au cabinet MCL, qui pondère toutefois la portée de l’ordonnance : « il n’est pas certain que ce cas soit jugé de la même façon dans toutes les juridictions. »  Un autre avocat, Eric Lanzarone, se félicite aussi de ce jugement : « le juge a reconnu la lésion. D’habitude, il considère que le candidat évincé et l’attributaire ont été à la même enseigne et il écarte le moyen. » Il conseille aux acheteurs de communiquer aux candidats tous les éléments qui leur permettront de confectionner leur meilleure offre. « Il faut trouver un juste équilibre pour éviter de mettre le pouvoir adjudicateur à nu. Mais qu’il s’agisse d’un sous-critère ou d’un élément d’appréciation, si cela infléchit la constitution de l’offre, on applique la même logique : il faut fournir les règles du jeu. » L'affaire n'est pas terminée puisque le ministère des Armées a déposé un pourvoi en cassation.