Production de justificatif par les candidats : le corollaire d’une exigence technique particulière

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Le corpus juridique tenant aux justificatifs devant être remis par les candidats à l’appui de leur information, en cas d’exigence technique particulière prévue dans le marché public, va bientôt être étoffé par le Conseil d’Etat. Il se prononcera de nouveau sur ce sujet, pour trancher un contentieux issu d’une passation d’un accord-cadre de service de transport scolaire. Lors de l’audience, le rapporteur public a rappelé les récentes jurisprudences applicables en la matière. Mais cette fois-ci, la question du contrôle opéré par l’acheteur s’est déportée dans le cadre d’un élément d’appréciation d’un sous-critère.

La portée de l’obligation pour l’acheteur de solliciter des candidats des justificatifs afin de lui permettre de contrôler l’exactitude des informations fournies va devoir être affinée par le Conseil d’Etat, annonce le rapporteur public Olivier Henrard. Cette déclaration est issue de la lecture de ses conclusions lors de l’audience opposant la métropole Nice Côte d’Azur à une entreprise évincée d’un accord-cadre. En l’espèce, l’intercommunalité a lancé une passation pour l’exécution d’un service de transport public de voyageurs à vocation scolaire sur son territoire. Le point litigieux est le suivant : l’attributaire, dans sa proposition, a simplement précisé la mise à disposition d’une automobile neuve affecté à la prestation, sans apporter de renseignements sur son ancienneté, alors que l’âge était un élément d’appréciation du sous-critère « la qualité des véhicules » rattaché à la valeur technique. La société, classée seconde, reproche à l’acheteur d’avoir choisi un pli incomplet et, par conséquent, irrégulier. Elle a saisi le juge du référé précontractuel.

Le tribunal administratif (TA) de Nice a statué dans son sens, il a annulé la procédure au motif que l’acheteur a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. L’établissement public s’est pourvu en cassation. « Lorsque, pour fixer un critère d’attribution d’un marché public, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d’une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d’exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l’exactitude des informations données par les candidats » (CE, 9 novembre 2015, Société Autocars de l’Ile de Beauté, n°392785), rappelle Olivier Henrard. La juridiction du premier ressort a suivi cette règle. Elle s’est penchée sur le règlement de la consultation. Le document indiquait aux candidats de mentionner l’âge du véhicule dans leur proposition, sans évoquer l’accompagnement de justificatifs. Selon le TA de Nice, l’ancienneté était donc une caractéristique technique déterminée et, en conséquence, l’acheteur aurait dû les demander aux entreprises afin de veiller à la véracité des déclarations des candidats.

Justificatif en cas de notation de l’exigence technique


Pour l’intercommunalité, le juge a commis une erreur de droit. Le rapporteur public a regardé la législation européenne. Un lien est érigé par la directive n°2014/24/UE du 26 février 2014 entre l’incapacité de l’acheteur de vérifier les informations et le respect des obligations de mise en concurrence. Olivier Henrard cite le paragraphe 4 de l’article 67 : « [les critères d’attribution] garantissent la possibilité d’une véritable concurrence et sont assortis de précisions qui permettent de vérifier concrètement les informations fournies par les soumissionnaires (…) ».

[la décision Société Autocars de l’Ile de Beauté] n’a pas consacré une obligation générale de vérification de l’exactitude des offres. Ce n’est que si le pouvoir adjudicateur exige des candidats une caractéristiques techniques particulières qu’il doit demander [les] justificatifs

A défaut, cette absence de renseignement est contraire aux principes du droit de l’Union européenne en matière de marchés publics (CJCE, 4 décembre 2003, affaire C-448/01), poursuit l’orateur. Lors d’une précédente affaire, devant le Conseil d’Etat (CE, 22 juillet 2016, Communauté d’agglomération du Centre Littoral, n°396597), Olivier Henrard avait affirmé dans ses conclusions que : « [la décision Société Autocars de l’Ile de Beauté] n’a pas consacré une obligation générale de vérification de l’exactitude des offres. Ce n’est que si le pouvoir adjudicateur exige des candidats une caractéristiques techniques particulières qu’il doit demander [les] justificatifs ». Sa position est restée constante. La haute juridiction avait, à l’époque, entendu le rapporteur public et répondu favorablement aux moyens de la personne publique, tout en précisant que ces exigences ne devaient pas être sanctionnées par le système d’évaluation des offres (cette posture a été commentée dans nos colonnes, cf l'article en bas de page).

L’ancienneté des véhicules était-elle, en l’espèce, sanctionnée par le système d’évaluation des offres ? La réponse n’est pas évidente, admet Olivier Henrard. A la différence des autres contentieux, cette problématique ne porte pas directement sur un critère ou un sous-critère mais sur un élément d’appréciation. Le rapporteur public suppose que le TA de Nice a rendu son ordonnance en tenant compte du pourcentage alloué au sous-critère contesté, dans la notation. En effet, il représentait 60% de la valeur technique, elle-même pondérée à 30% de la note totale. L'orateur a estimé sévère le verdict du juge des référés. Néanmoins, il n’aurait pas dénaturé le dossier. De surcroît, le cahier des charges stipulait une limite d’âge des automobiles devant être respecté par le titulaire. Le rapporteur public renchérit : « l’acheteur aurait pu être plus précis et ne pas se borner à fixer un plafond sous [cette] forme ». D’autant qu’il résulte de l’instruction que l’attributaire d’une part ne disposait pas de véhicule neuf et, d’autre part, qu'il n’avait pas réalisé les démarches pour l’obtenir au moment de l’exécution de l’accord-cadre. Olivier Henrard conclut ainsi au rejet du pourvoi.