Un critère RSE doit obligatoirement avoir un lien avec l’objet du contrat

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L’insertion de critère portant sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), dans la consultation, est à manier avec précaution. Un tribunal administratif a récemment annulé une mise en concurrence car une telle appréciation était sans rapport direct avec l’objet du contrat. La directive 2014/24/UE exclut les critères relatifs à la politique générale de l’entreprise, qui ne peuvent être considérés comme un élément caractérisant le processus spécifique de production ou de fourniture des travaux, produits ou services achetés.

Un nouvel épisode d’instrumentalisation de la commande publique a été sanctionné par le juge administratif. Cette fois-ci, il concerne un groupement de commande dont Nantes Métropole était le mandataire. Pourtant la démarche était louable. Elle consistait à prendre en compte les pratiques RSE (responsabilité sociétale des entreprises) des candidats. L’établissement public n’est pas insensible à cet objectif. Il a conçu, en 2011, avec d’autres acteurs publics, un guide juridique intitulé "Intégration de la démarche RSE dans les marchés publics". Lors du renouvellement, en 2017, de l’accord-cadre en matière de réalisation de travaux d’impression, le groupement a réinséré un critère d’appréciation « performance en matière de RSE » pondéré à 15% de la note finale. Les entreprises avaient deux possibilités pour le satisfaire, soit produire un diagnostic RSE établi par l’association « Planet’RSE », soit fournir les pièces justificatives indiquées dans le règlement de la consultation. Un candidat évincé a déposé une requête en référé précontractuel, devant le tribunal administratif (TA) de Nantes, au motif que la procédure était viciée du fait de l’irrégularité d’un tel critère car il était sans rapport direct avec la prestation.

Le droit de l’UE exclue des critères : la politique générale de l’entreprise


La Métropole est consciente de cette difficulté, « la notion de lien avec l’objet du marché et la capacité à utiliser les aspects RSE au stade de l’attribution sont appréciées de manière restrictive. Ce contexte juridique peut même apparaître en décalage au regard de la stratégie de l’UE en matière de RSE (…). [Il] peut conduire les acheteurs à sous-utiliser les possibilités offertes par un excès de prudence au regard des risques juridiques » (cf son Guide juridique, p. 9).

La condition de l’existence d’un lien avec l’objet du marché exclut les critères et conditions relatifs à la politique générale de l’entreprise, qui ne peuvent être considérés comme un élément caractérisant le processus spécifique de production ou de fourniture des travaux, produits ou services achetés

D’autant que depuis la directive 2014/24/UE, le point 97 du texte énonce cette interdiction : « la condition de l’existence d’un lien avec l’objet du marché exclut les critères et conditions relatifs à la politique générale de l’entreprise, qui ne peuvent être considérés comme un élément caractérisant le processus spécifique de production ou de fourniture des travaux, produits ou services achetés. Les pouvoirs adjudicateurs ne devraient dès lors pas être autorisés à exiger des soumissionnaires qu’ils aient mis en place une politique particulière de responsabilité sociale ou environnementale de l’entreprise ».

Derogation à cette exclusion : un lien avec l’objet du contrat 


Néanmoins,  le Conseil d’Etat dans sa décision "Ministre de l'Intérieur contre Région Pays de la Loire" (CE, 4 décembre 2017, n°413366) a dégagé ce considérant de principe : « un pouvoir adjudicateur peut imposer, parmi les conditions d’exécution d’un marché public, des exigences particulières pour prendre en compte des considérations relatives (…) à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, sous réserve que celles-ci présentent un lien suffisant avec l’objet du marché ; qu’une mesure nationale qui restreint l’exercice des libertés fondamentales garanties par le [TFUE] ne peut être admise qu’à la condition qu’elle poursuive un objectif d’intérêt général, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (…) ». Le TA de Nantes a appliqué ce dispositif à la lecture du point 97 de la directive. En l’espèce, cinq sous-critères issus du Guide juridique, ont été prévus par le groupement : la « protection de l’environnement », les « aspects sociaux », les « aspects sociétaux », « la performance économique durable » et la « gouvernance » de l’opérateur. Quant aux éléments d’appréciation, ils portaient sur de nombreux aspects de l’activité des entreprises comme la pérennité financière, le respect des fournisseurs, la participation à la lutte contre les discriminations, le respect de la loi Egalité Hommes/Femmes,…

La juridiction de première instance en déduit de ces composantes de la notation que le critère performance en matière de RSE « a pour objectif d’évaluer la politique générale des entreprises candidates, sans s’attacher aux seuls éléments caractérisant le processus spécifique de production ou de fourniture des travaux, produits ou services achetés ; qu’il est ainsi sans lien avec l’objet du marché, en méconnaissance de l’article 38 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 ». Toutefois, au vu du raisonnement du TA de Nantes, il est possible d’émettre l’hypothèse suivante. L’évaluation de la politique générale des entreprises candidates n’aurait pas été un obstacle si le critère avait eu un rapport avec la prestation et aurait respecté les conditions fixées par la jurisprudence Ministre de l'Intérieur contre Région Pays de la Loire. En revanche, il est certain que le juge n’a pas pris en compte les moyens de la Métropole pour  faire valoir l’absence de préjudice du requérant, tenant d’une part à la récurrence de ce critère depuis des années et d’autre part à la non sollicitation du candidat évincé pour obtenir des informations auprès de l’acheteur. La passation a été annulée.