Concession nulle : l'indemnisation sur le terrain quasi-contractuel

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Le régime de l’indemnisation pour le titulaire d’une concession nulle continue à s’étoffer. Le Conseil d’Etat a rendu de nouveau une décision sur ce thème. L’affaire concernait la conception, la construction, la maintenance et l’exploitation d’un complexe de football. Le délégataire a demandé la réparation de son préjudice notamment sur le terrain quasi-contractuel. Mais il va se heurter à la règle que seules les dépenses utiles à la personne publique sont remboursées. Toutefois, la haute juridiction a estimé que les frais financiers pour assurer l’exécution du contrat peuvent être regardés comme tels.

47 millions d’euros réclamés à la ville de Nice ! Dans les prétoires se déroule un match entre la commune et la société GSN-DSP autour d’une concession d’un complexe de football portant sur sa conception, sa construction, sa maintenance et son exploitation. Ce litige marquera le régime de l’indemnisation pour le titulaire d’un contrat nul. La partie a commencé au moment où le groupement d’opérateur, à l’initiative de la création de cette société, n’a pas remporté le contrat après une nouvelle passation alors qu’il en était initialement le titulaire. En effet, la précédente convention avait été annulée, en 2006, à la suite d’un déféré préfectoral à cause d’une faute de la collectivité. Cette dernière n’avait pas stipulé les tarifs à la charge des usagers et leurs évolutions, conformément à l’ancien article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales. Entretemps, la société GSN-DSP avait vu le jour dans les règles de l’art. Un avenant lui a confié les missions du titulaire. Mais l’annulation de la concession a lésé l’entreprise. Elle a donc fait un recours en référé-provision où elle a obtenu 3 millions d’euros en 2008. Dans la foulée, elle a déposé une requête au fond devant le tribunal administratif (TA) de Nice. Le juge a désigné un expert pour évaluer le préjudice. La société GSN-DSP a ensuite interjeté appel puis s’est pourvu en cassation car les sommes attribuées (2,4 millions d’euros) ne correspondaient pas à ses attentes. La tactique de la requérante a été à la fois de jouer sur la responsabilité quasi-contractuelle et quasi-délictuelle de la commune.

Remboursement des dépenses utiles par rapport au projet réalisé


Depuis la jurisprudence Société Décaux (CE, 10 avril 2008, n°244950), le co-contractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de ses dépenses. La société a axé ses moyens sur l’enrichissement sans cause. Mais la requérante va tomber de haut. La condition sine qua non pour une indemnisation est la suivante : les dépenses doivent être utiles à la personne publique.

La mise en œuvre d’un nouveau cadre juridique, lors du second projet, a été prise en compte par les juges du fond pour la distinguer de la précédente opération

La mise en œuvre d’un nouveau cadre juridique, lors du second projet, a été prise en compte par les juges du fond pour la distinguer de la précédente opération. Conséquence ? Les frais de développement pour notamment créer la société GSN-DSP, calculés à plus d’un millions d’euros, n’ont pas reçu cette qualification de dépense utile. En parallèle, la requérante avait conclu des contrats avec la société Apave et le bureau Véritas avant l’exécution. Cependant, la forme géométrique et la structure du stade diffèrent de l’ouvrage envisagé auparavant. Les coûts des prestations n’ont donc pas été remboursés. Quant aux coûts d’investissement liés à la construction, seules les prestations de reconnaissances de sol et les travaux de déblais et de remblais ont eu un intérêt direct pour la commune. Les autres frais liés à la construction et de la conception n’ont pas été retenus dans le dédommagement. En revanche, les coûts de maintien du site ont été mis à la charge de la collectivité.

Indemnisation des frais financiers destinés à assurer l'exécution du contrat 


S’agissant des frais financiers pour assurer l’exécution du contrat, selon la cour administrative d’appel (CAA) de Marseille, ils ne peuvent être regardés comme des dépenses utiles. Elle aurait ici commise une erreur de droit. A la différence des marchés publics, le co-contractant d’une délégation de service public peut demander  « les remboursement des dépenses d’investissement qu’il a effectuées relatives aux biens nécessaires ou indispensables à l’exploitation du service, à leur valeur non amortie évaluée à la date à laquelle ces biens font retour à la personne publique, ainsi que du déficit d’exploitation qu’il a éventuellement supporté sur la période et du coût de financement de ce déficit », déclare le Conseil d’Etat. Il persiste dans cette position depuis la jurisprudence Commune de Castres (CE, 7 décembre 2012, n° 351752), commentée dans nos colonnes (article ci-dessous). Néanmoins, il rappelle cette limite : « pour autant toutefois qu’il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d’une gestion normale, à la bonne exécution du service public et que le coût de financement de ce déficit est équivalent à celui qu’aurait supporté ou fait supporter aux usagers le délégant ». Les sages du Palais Royal n’ont pas sifflé le coup final et ont renvoyé l’affaire.
A noter que sur le terrain quasi-délictuel, la haute juridiction n’a pas remis en cause le raisonnement de la CAA. Le point intéressant est dans la règle de droit énoncée : « saisi d’une demande d’indemnité sur ce fondement, il appartient au juge d’apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice ». Cette notion de « lien de causalité direct », affirmée récemment dans la décision Cegelec Perpignan (CE, 6 octobre 2017, n°395268), avait fait débat (ci-joint les articles). Les sages ont ainsi maintenu ce cap.