Un critère d’insertion professionnelle apprécié au regard du cycle de vie du produit

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Un acheteur a inséré un critère d’insertion professionnelle des publics en difficulté dans un marché de mise à disposition d’audioguides. Le juge des référés précontractuels a, à l’occasion d’un contentieux, admis sa validité. Pour cela, il est parti du raisonnement suivant : « sont réputées liées à l’objet du marché public les conditions d’exécution qui se rapportent aux fournitures et services à fournir en application du marché public, à quelque égard que ce soit et à n’importe quel stade de leur cycle de vie… ».

Un juge du référé précontractuel a apprécié un critère d’insertion professionnelle des publics en difficulté, dans le cadre d’une prestation de service, par rapport au cycle de vie. En l’espèce, l’établissement public du Château, du Musée et du Domaine national de Versailles avait lancé une consultation pour bénéficier d’audioguides. L’opération avoisinerait le million d’euros par an. Deux sociétés ont postulé. La candidate évincée a déposé une requête auprès du tribunal administratif (TA) de Versailles contestant le procédé de sélection des offres et notamment celui au regard de ce critère. Mais son recours a été rejeté.

Prise en compte du cycle de vie même dans le cadre d’une prestation de service 


Comment prendre en compte les enjeux sociaux au stade du choix de l’offre ? Cette question est récurrente surtout depuis la réforme de la commande publique (cf notre article en lien en bas de page consacré à cette problématique). Dans le présent conflit, l’acheteur a fixé un critère d’insertion professionnelle des publics en difficulté. Il ne serait pas pertinent voire contraire à l’article 62 du décret n°2016-365 du 25 mars 2016, selon la requérante, puisqu’il serait sans lien avec l’objet du marché qui est la condition sine qua non. A défaut, la passation est irrégulière. Pour mémoire, une passation (dans une autre affaire) avait déjà été annulée car le critère portant sur la responsabilité sociétale des entreprises prévu ne respectait pas cette exigence, même si l’intention était louable (cf notre article en lien en bas de page).

Ces différentes étapes du cycle de vie… sont susceptibles d’être exécutées par des personnels engagés dans une démarche d’insertion

Mais le TA de Versailles a lu la disposition du décret énoncée ci-dessus en l’associant avec l’article 38-I de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 : « sont réputées liées à l'objet du marché public les conditions d’exécution qui se rapportent aux travaux, fournitures ou services à fournir en application du marché public, à quelque égard que ce soit et à n'importe quel stade de leur cycle de vie ». En partant de ce postulat, la juridiction a commencé à s’intéresser aux différentes étapes du cycle de vie du matériel : « Les conditions d’exécution du marché en litige, qui consistent en la mise à disposition d’audioguides, comportent nécessairement des étapes relatives à la production, au transport, à la maintenance et à la fin d’utilisation des appareils ». Ensuite, elle a lié cette notion avec l’axe d’évaluation contesté en déclarant ainsi que : « ces différentes étapes du cycle de vie… sont susceptibles d’être exécutées par des personnels engagés dans une démarche d’insertion ; que par suite [l’acheteur] a pu légalement prévoir d’apprécier les offres au regard [de ce critère] ». Au passage, la juridiction a rappelé la nécessité d’une part qu’il ne doit pas être discriminatoire et d’autre part, qu'il doit permettre d’apprécier objectivement les propositions.

Maître Florian Mokhtar (photo ci-contre), avocat de la demanderesse, reste, après coup, sceptique face à l’argumentation du juge.  photo_fm.jpg« On peut s’interroger sur cette analyse alors qu’il est peut probable que ce type de produit soit fabriqué par l’exploitant et sur le territoire national. Quant au transport, il s’agit nécessairement de prestations assumées par des tiers (et non par le candidat) » avance l’avocat. Ensuite, il tient à recentrer le débat sur la prestation demandée, à savoir la fournir des audioguides, leur délivrance et leur réception auprès des usagers. Pour le professionnel du droit, l’évaluation aurait dû ainsi s’effectuer en fonction de cette activité. « Pour justifier ce critère, le juge a eu une vision très globale du marché pour se focaliser sur la fabrication du matériel. Il a fait une interprétation large » reconnait l’avocat.

On peut s’interroger sur cette analyse alors qu’il est peut probable que ce type de produit soit fabriqué par l’exploitant et sur le territoire national

Ce raisonnement l'interpelle.  « Si on suit la justification du TA, quel que soit le marché, fourniture, service et travaux, un critère d’insertion professionnel sera toujours lié à l’objet du contrat ». Pour autant, il tempère sa position. « Il ne faut pas surinterpréter l’analyse du juge ». En parallèle, Maître Florian Mokhtar regrette que le magistrat ait éludé la question sur la manière de combiner l’obligation d’insertion avec l’éventuelle obligation de reprise du personnel. Il s’interroge sur le point de savoir si les promesses des candidats, dans ce contexte, pourront être mises en œuvre pendant l’exécution. Il recommande aux acheteurs d’être prudents, particulièrement si une reprise des salariés est envisagée, sur le fait de prévoir un critère tiré de l’insertion professionnelle. A noter que ce critère était considéré comme un bonus dans la notation.  
 

Contestation d’un critère difficilement admissible en l’absence de demande d’information au cours de la consultation


En revanche, la juridiction n’est pas restée insensible sur l’absence de demande d’information complémentaire de la part de la candidate évincée, sur ce sujet, durant la consultation. Depuis l’arrêt Smirgeomes (CE, 3 octobre 2008, n°305420), cette carence ne joue pas à la faveur des opérateurs. Par exemple, le TA de Strasbourg, dans une ordonnance du 5 novembre 2015 n°1505692, avait déclaré à l’occasion d’un contentieux : « la requérante… qui n’a pas cru nécessaire de poser de question au pouvoir adjudicateur… n’est pas fondée à soutenir avoir été confrontée à une imprécision des critères l’ayant pénalisée dans la présentation de son offre ou ayant laissé au pouvoir adjudicateur un pouvoir discrétionnaire excessif pour procéder à leur sélection ».