Le Conseil d'Etat éclaire le principe de l'allotissement

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L’acheteur peut-il encore définir librement le nombre de lot et leur contenu ? Le Conseil d’Etat, à l’occasion de deux contentieux, a apporté des éclaircissements. D’un côté, une collectivité a recouru à un marché global pour des raisons techniques et financières. De l’autre, un OPH avait alloti son opération uniquement en lot géographique (et non par corps d’état) sur les mêmes fondements. Les deux acheteurs avaient vu leurs passations annulées, en première instance, par le juge du référé précontractuel.

L’acheteur peut-il encore définir librement le nombre de lot et leur contenu depuis la réforme de la commande publique ? A l’occasion de deux contentieux, le Conseil d’Etat a apporté des éclaircissements. Le département des Yvelines, d’un côté, et l’office public de l’habitat (OPH) Hauts-de-Seine habitat de l’autre, ont vu leurs passations être annulées, lors d’un référé précontractuel, au motif qu’ils avaient méconnu l’article 32 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et, de facto, porté atteinte aux principes de libre accès de la commande publique et d’égalité de traitement. Le département n’avait pas alloti son appel d’offres relatif à des travaux de restructuration et d’extension d’un établissement scolaire regroupant une école primaire, un collège et un lycée dans une dizaine de bâtiment différent. Quant à l’OPH, il avait divisé uniquement en lots géographiques (neuf au total) son opération d’entretien et de remise en état des logements de son patrimoine. Respectivement, le tribunal administratif (TA) de Versailles et celui de Cergy-Pontoise ont donné une suite favorable aux requêtes émises par les candidats évincés. Les pouvoirs adjudicateurs se sont alors pourvus en cassation.

Possibilité de déroger à l’allotissement pour des raisons techniques ou financières

    
L’allotissement est dorénavant le principe. Néanmoins des exceptions sont toujours prévues. Les acheteurs peuvent passer un marché global « si la dévolution en lots séparés… risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l'exécution des prestations ».

Les acheteurs peuvent passer un marché global : « si la dévolution en lots séparés… risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l'exécution des prestations »

Pour mémoire, « il appartient au juge du référé précontractuel de déterminer si l’analyse à laquelle le pouvoir adjudicateur a procédé et les justifications qu’il fournit sont, eu égard à la marge d’appréciation qui lui est reconnue pour estimer que la dévolution en lots séparés présente l’un des inconvénients…, entachées d’appréciations erronées » (CE, 26 juin 2015, Ville de Paris, n°389682). Le conseil départemental des Yvelines a expliqué ce choix dans sa délibération en invoquant les cas de figures prévus à l’ordonnance. Le département a d’abord mis en avant la complexité de coordonner les prestataires au vu des caractéristiques de l’établissement (énoncées ci-dessus). Ensuite, il a souligné les impératifs pesant sur le projet : aucune interruption de l’activité (installation de préfabriqué durant la mission), une seule phase de travaux sur deux années scolaires  plus la difficulté de sécuriser les chantiers et les multiples accès en raison du flux permanent d’entrée et de sortie des élèves, des professeurs et des agents, dont le nombre avoisinerait les trois mille personnes. Le TA de Versailles n’a cependant pas été convaincu. Il a considéré ces contraintes comme étant « courantes » dans ce type d’intervention. D’autant que le département n'aurait pas justifié qu’elles « étaient telles, notamment au vu de ses propres moyens », renchérit le magistrat. A noter que l’acheteur distinguait, dans son cahier des charges, vingt-sept parties faisant chacune référence à une prestation technique distinctes. L’argument financier soulevé en parallèle n’a pas fait plier la position du juge.

Un allotissement géographique s’avère suffisant


Dans la seconde affaire, le candidat évincé a critiqué l’absence d’allotissement par corps d’état. Selon ses dires, la division en lots géographiques en fonction des lieux d’exécution était insuffisante. Un lot pouvait comporter des travaux de gros œuvre, de menuiserie, de serrurerie, de revêtement de sol, de plomberie… Le raisonnement du TA de Cergy-Pontoise est similaire à celui de son confrère de Versailles. « Il ne résulte pas de l’instruction qu’une dévolution en lots par corps d'état aurait, d'une part, nécessité une coordination entre prestataires telle qu’elle aurait rendu techniquement difficile l’exécution du marché, dès lors que Hauts de Seine Habitat-OPH dispose d'effectifs lui permettant de gérer près de 44 447 logements sociaux, et… d'autre part, constitué un obstacle à la réduction des délais d'exécution des travaux » a déclaré le magistrat. Il a ainsi analysé les moyens de l’OPH pour mesure l’ampleur des contraintes. La juridiction va retenir aussi un autre point pour mettre fin à la passation : l’impressionnant montant estimé de chaque lot dont certain pouvait atteindre 4 millions d’euros. Pour sa défense, l’acheteur avait mis en lumière la limitation à trois le nombre de lots susceptibles d’être attribués à un même candidat. D’après le TA, cette démarche était sans incidence.

Le Conseil d’Etat va consolider et préciser sa jurisprudence ville de Paris. « Lorsque le pouvoir adjudicateur a choisi de diviser un marché public en lots géographiques, il appartient notamment au juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens, de s'assurer, en prenant en compte l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser, que ce choix n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation », a dégagé la Haute juridiction. Elle a vérifié (implicitement) si ce procédé adopté par l’OPH était performant. Verdict ? Une réduction des délais d’exécution et une meilleure coordination des intervenants ont été reconnues par les sages du Palais Royal. Les problèmes recensés durant le marché précédant, résultant notamment d’une division en lot géographique et fonctionnelle, ne les ont également pas laissés insensibles. Cette pratique avait notamment abouti à la création de quatre-vingt-dix-sept lots.

Le Conseil d’Etat ne va pas rechercher à comparer les moyens de la collectivité et l’ampleur des contraintes pour admettre la dérogation à l’allotissement

S’agissant du litige opposant le département, le Conseil d’Etat ne va pas rechercher à comparer les moyens de la collectivité et l’ampleur des contraintes pour admettre la dérogation à l’allotissement. Il s’est tout simplement satisfait des explications données par le pouvoir adjudicateur. En conclusion, au-delà d’avoir sauvé les deux passations, la Haute juridiction a préservé la liberté de l’acheteur de définir le nombre de lot et leur contenu.