Garantie à première demande vs principe d'unicité du décompte général

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Avant la notification du décompte général, le maître d’ouvrage doit-il inscrire le montant prélevé auprès du garant à première demande du titulaire, correspondant au coût des travaux nécessaires à la levée des réserves ? Cette problématique est ressortie à l’occasion d’un contentieux remonté jusqu’au Conseil d’Etat. Lors de la lecture de ses conclusions, le rapporteur public a mis en lumière l’antagonisme entre d’un côté le principe d’unicité du décompte et, de l’autre, le fait que la garantie à première demande soit détachée de l’obligation garantie.

L’acheteur doit-il inscrire dans le décompte général, avant la notification, le montant prélevé auprès du garant à première demande du titulaire correspondant au coût des travaux nécessaires à la levée des réserves ? Autrement dit, le régime du décompte général a-t-il une incidence sur celui de la garantie à première demande ? Cette problématique est ressortie à l’occasion d’un contentieux. En l’espèce, la communauté de communes des deux fleuves a réceptionné, en avril 2009, un marché de travaux avec réserve portant sur une ZAC. Le pouvoir adjudicateur avait mis en demeure son entrepreneur afin de remédier aux imperfections soulevées. Après le refus du cocontractant de se conformer à cette exigence, l’intercommunalité a, le 16 avril 2013, sollicité auprès de l’établissement bancaire garant la somme de 138 000 euros. La banque a répondu le 7 juin 2013 à cette réclamation. Problème ? Le décompte général avait été entre temps notifié (à la date du 24 avril) sans comporter cette fois-ci de réserve. Le titulaire a alors déposé une requête pour récupérer son dû. Il a notamment soulevé l’impossibilité pour le maître d’ouvrage d’obtenir le paiement de sommes non mentionnées dans le décompte en raison de son caractère définitif (principe de l’unicité). Les juridictions du fond ont suivi ce moyen. La collectivité s’est donc pourvue en cassation. 

Mesure exécutoire du contrat détachée de l’obligation garantie 


Olivier Henrard, le rapporteur public devant le Conseil d’Etat, a fait un gros plan sur le principe même de la garantie à première demande, avant d’aborder le présent litige. Elle « est l'engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d'une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues », article 2321 du code civil.

Cette sureté est dénommée garantie autonome car, comme l’a expliqué l’orateur, elle ne suit pas l’obligation garantie

 La Cour de cassation a d’abord régi ce mécanisme avant qu’il soit retranscrit. Cette sûreté est dénommée garantie autonome car, comme l’a expliqué l’orateur, elle ne suit pas l’obligation garantie (sauf convention contraire). Elle en est détachée même si « elle suppose l'existence d’un contrat de base entre le donneur d'ordre et le bénéficiaire » (Cass. Com., du 19 avril 2005, 02-17.600). D’autant que « le garant ne peut opposer aucune exception », précise l’article 2321.

Dans le cadre d’un marché public, le titulaire peut demander de remplacer la retenue de garantie par ce régime (disposition 123 du décret du 25 mars 2016).

Il doit être distingué d’un côté la relation contractuelle entre le donneur d’ordre et le garant, et de l’autre, la décision par laquelle la personne publique procède à l’appel de la garantie

La garantie à première demande est là aussi une obligation autonome et indépendante du marché (CE, 10 mai 1996, Fédération nationale des travaux publics, n°159980). Dès lors, il est légitime de s’interroger sur la compétence du juge administratif. Selon Olivier Henrard, il doit être distingué d’un côté la relation contractuelle entre le donneur d’ordre et le garant, et de l’autre, la décision par laquelle la personne publique procède à l’appel de la garantie. Dans ce second cas, l’acte est une mesure d’exécution du contrat. Le rapporteur public a fait référence à la jurisprudence Société technibat Aluminium Service (CE, 3 novembre 2004, n°263934). L’ordre judiciaire ne pouvait donc traiter cette affaire. Dans ce conflit, la cour administrative d’appel (CAA) de Paris avait reconnu le caractère de droit privé du contrat « pour autant, la [société]… est recevable à demander devant le juge du contrat la restitution du montant de ce prélèvement, à charge pour elle d’établir que le bénéficiaire en a reçu indûment le paiement ».

Antagonisme entre les règles de la garantie à première demande et celles du décompte général


D’après la juridiction du second degré, le fait d’activer la garantie à première demande ne dispensait pas l’acheteur de l’obligation d’écrire le montant de celle-ci dans le décompte.

Si la personne publique procède bien à l’inscription de la somme du titulaire, on aboutit à un double engagement pour celui-ci. En face, si le maître d’ouvrage omet de procéder à l’inscription de la somme, la solution revient en définitive à mettre le coût des travaux à la charge de la collectivité

En effet, il ressort de la décision région Auvergne qu’ « après la transmission au titulaire du marché du décompte général qu'il a établi et signé, le maître d'ouvrage ne peut réclamer à celui-ci, au titre de leurs relations contractuelles, des sommes dont il n'a pas fait état dans le décompte » (CE, 6 novembre 2013, n° 361837). La communauté de communes a contesté ce raisonnement. Elle fait valoir qu’elle ne devait pas mentionner ces coûts puisque la somme avait été demandée à l’établissement bancaire garant et, de facto, la garantie aller couvrir les frais liés aux désordres constatés. Toutefois, les deux argumentations ne seraient pas satisfaisantes, a avancé le rapporteur public. « La solution retenue par les juges du fond,… est contre intuitive pour la personne publique. En outre, si la personne publique procède bien à l’inscription de la somme du titulaire, on aboutit à un double engagement pour celui-ci. En face, si le maître d’ouvrage omet de procéder à l’inscription de la somme, la solution revient en définitive à mettre le coût des travaux à la charge de la collectivité ». Olivier Henrard serait favorable à la mise en place d’un dispositif de compromis. Par conséquent, il a proposé aux sages du Palais Royal d’annuler l’arrêt et de renvoyer l’affaire.