Travailler en bonne intelligence avec les acheteurs publics

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« On n'a pas grand mérite à prendre patience quand on est incapable d'un mouvement de colère... »
Marcel Aymé


C’est un vrai "coup de gueule" que nous publions cette semaine. La tribune de Laurent Delplanque (Direction de la Commande Publique et Logistique Service Achat Ville de Niort), a le grand mérite de mettre les pieds dans le plat : « acheter, c’est un métier, pas une fonction ! » (lire "[Tribune] Laurent Delplanque « S’il vous plait…donne-moi les moyens de devenir un acheteur public »").

Il réagit vertement à l’une des explications données par la Cour des comptes européenne sur la baisse de la concurrence, selon laquelle les acheteurs publics auraient tendance à se surprotéger, à ne pas jouer correctement le jeu du nouvel achat public, moins juridicisant et plus économique… plus souple, en somme (relire "Faible concurrence dans les marchés publics de l’UE : un échec des directives européennes ? " et "Concurrence en berne : la Commission répond à la Cour des comptes").
Nous avons, de notre côté, tenté lors d’un webinaire d’y voir plus clair sur le bien-fondé de ces critiques et si elles sont partagées par nos voisins européens (lire "Dix ans de Directives "marchés publics" : un anniversaire « sous tension »").
 

Cible facile... et peu reconnue ?

Le rapport de la Cour des comptes européenne met en cause la surtransposition des directives européennes au sein des Etats membres, mais aussi les acheteurs publics qui complexifieraient tout. Pour Laurent Desplanque, « c’est désigner un peu trop facilement l’arbuste qui ne cache pas la forêt ». Il veut rappeler un état de fait : « Tout le monde parle d’acheteur, concernant la mise en œuvre de la commande publique, mais, vous pouvez me croire, de véritables Acheteurs de métier dans nos établissements publics, il n’y en a que très peu, voire pratiquement pas ».
Autrement dit, pour mettre en œuvre la nouvelle commande publique, durable, levier de toutes les politiques publiques, « Il faut une professionnalisation de l’achat dans nos structures publiques, avec un vrai statut d’acheteur ». Un statut… et une reconnaissance pour « cet équilibriste entre définition du besoin, clauses et critères pour ne pas dévisser du câble suspendu dans les hauteurs de la complexité juridique et permettre une pleine concurrence y compris locale ».

Ce qui rassurera peut être Laurent Desplanque, c’est le soutien de Samira Boussetta (consultante indépendante en marchés publics depuis septembre 2023 et auparavant chargée de ma promotion de l’achat innovant au sein de la Commission européenne) : « Il y a une injonction qui pousse les acheteurs publics à la performance sans pour autant qu’il soit mis à leur disposition les moyens afin qu’ils y parviennent » (lire "Dix ans de Directives "marchés publics" : un anniversaire « sous tension »").
 

Décalage du cadre d'emploi

La reconnaissance, cela passe aussi par une rémunération à la hauteur des missions confiées. Mais « sur 227 offres, 80 sont de catégorie A et donc les 147 restantes de catégorie B ou C. Oui, je vous jure, du C pour recruter des Acheteurs de métier... » s’agace encore Laurent Delplanque. « Les acheteurs de métier sont rares pour mettre en œuvre une vraie commande publique durable et responsable ; ce sont des moutons à 5 pattes difficiles à recruter par manque d’attractivité dans nos organisations publiques ».

L’agacement de Laurent Delplanque risque de se renforcer encore, à la lecture de certains de nos articles parus cette même semaine ou récemment. Parce que les sollicitions des acheteurs publics ne sont pas prêtes de cesser…
 

Halte aux « Costs Killers »

D’abord, un entrepreneur, Philippe Chaventré versé de l’ESS, s’en prend aussi (un peu) aux acheteurs publics : « Le prix continue de régner en maître dans les appels d’offres. Il compte en général pour 60%, 20% pour la note technique, 20% au mieux pour le critère environnemental ». Il reconnaît cependant que ce n’est pas facile pour un acheteur public d’opter pour un achat raisonné quand c’est « "avec l’argent de nos impôts " comme l’on dit, que l’on a pris la position de " cost-killer". Mais ce n’est pas impossible » (lire "[Interview] Philippe Chaventré : «Influencer les acheteurs publics pour qu’ils oublient leur côté cost-killer »").
 

L’intelligence de l'acheteur public sollicitée

Ensuite, parce qu’aux sollicitations de fond, que Laurent Desplanque liste en « loi majeures » impliquant l’achat responsable qui ont impacté la commande publique (loi Agec, Egalim, Climat et résilience, Industrie verte), une nouvelle lame de fond se répand : l 'IA.

L’IA avait été identifiée par le Conseil national des achats (CNA) comme l‘un des défis que les acheteurs, de façon générale, devront affronter en 2024 (relire "Les défis 2024 des acheteurs : " «affronter de nouvelles complexités »"). Cette semaine, nous avons aussi continué à tenter de mesurer les impacts de l’IA sur le métier d'Acheteur (lire "L’IA dans la commande publique : c’est d’abord une affaire de sécurisation de la donnée"). Une IA qui propose des solutions "sources d’opportunités", en supprimant les tâches à faible valeur ajoutée. Mais qui amène aussi son lot de risques et peut fragiliser la procédure de passation. De nouveaux réflexes vont devoir être pris aussi bien par les opérateurs que les acheteurs…
Avec in fine une recommandation « les organismes publics d'organiser des campagnes de sensibilisation auprès de tous les acteurs de la chaîne de la commande publique

Les acheteurs publics (sans doute dans le cadre de leur fonction levier et d'exemplarité) seront d’autant plus sollicités.
Ce n’est pas une lubie ! Au-delà des mutations du métier des juristes "achat"que peuvent engendrer ces évolutions (lire "Les juristes "marchés publics" menacés par l'IA ?"), les acheteurs publics ont un rôle à jouer dans le déploiement de système d’IAG de confiance. Selon un récent rapport d’information de l’Assemblée nationale, il s’agit non seulement : d'« Inciter les acheteurs publics à s’orienter vers des systèmes d’IAG de confiance labellisés », mais aussi d’utiliser la commande publique « pour permettre de faire émerger des entités dans ce secteur sur son territoire, dans une optique de "souveraineté économique" » (relire "La commande publique à la rescousse de l’IAG ?").

Ce qui rassurera peut être M. Delplanque, c’est que ce récent rapport d'information suggère de solliciter "sur le fond" les agents publics, et donc les acheteurs : « Les agents sont souvent les mieux placés pour identifier eux-mêmes les cas d’usage possibles de l’IAG. Il est indispensable de leur permettre de formuler des propositions en la matière et de les associer à la conception du système d’IAG ».

Acheteurs publics, sur l’IA, vous êtes (vous aussi…)en mode "POC" ("proof of concept") : montrez d'abord ce que vous pourriez faire avec l’IA… et on vous donnera (peut-être) les moyens !