Responsabilité décennale : l’origine du dommage ou l’AMO ne sont plus des causes d’exonération

partager :

Le Conseil d’Etat vient d’étendre le champ de la garantie décennale du constructeur à l’occasion d’un contentieux. Même s’il n’est pas à l’origine du dommage, le constructeur peut engager sa responsabilité. La haute juridiction a reconnu cette qualité à un assistant à la maîtrise d’ouvrage. Sa responsabilité va être recherchée par le pouvoir adjudicateur ainsi que par le maître d’œuvre et l’entrepreneur sur ce terrain, notamment pour une condamnation in solidum.

Rechercher la garantie décennale des constructeurs alors même qu’ils ne sont pas à la genèse du dommage, tout en invoquant l’obligation in solidum, peut plonger le pouvoir adjudicateur dans un véritable western où chaque acteur tire à boulet rouge. L’affaire, qui nous intéresse, pourrait s’intituler « il était une fois dans les thermes de Rennes-les-Bains » ou encore « le maître d’œuvre, l’entrepreneur et l’assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO) », en référence aux films cultes de Sergio Leone. 2,8 millions d’euros sont en jeu. En l’espèce, la commune a souhaité rénover son établissement thermal. Elle a donc conclu différents marchés avec ces trois protagonistes. Le litige s’est noué peu de temps après la fin de l’opération portant sur « la plomberie – le chauffage sanitaire – la ventilation – le process thermal… ». La collectivité a dû fermer le site en raison de la présence de légionnelles. Toute une série d’action de désinfection a été effectuée, mais sans succès. Un expert a alors été désigné, à la suite d’une ordonnance du tribunal administratif (TA) de Montpellier. Résultat ? L’origine n’a pu être déterminée car cette bactérie se trouvait en quantité importante dans un ouvrage, non concerné par les travaux, susceptible d’avoir affecter les installations intérieures aux thermes. La commune de Rennes-les-Bains a néanmoins demandé réparation auprès de ses prestataires. A noter que la ville avait délégué l’exploitation du lieu à une société. Le contentieux a commencé par une requête, déposée en 2012, devant le TA et s’est achevé par une deuxième décision du Conseil d’Etat du 9 mars 2018. Toutes les décisions juridictionnelles des juges du fond se sont soldées par un échec pour la commune. 

D’une présomption de responsabilité à une présomption d’imputabilité


La problématique a tourné, d’abord, autour de l’exonération des constructeurs de leurs responsabilités décennales. Selon le TA et la cour administrative d’appel (CAA) de Marseille, l’origine des désordres était un facteur déterminant pour déduire l’absence de lien de causalité entre la faute et le dommage. 

« Le dossier doit faire ressortir qu’aucun désordre ne résulte de l’action des constructeurs. En cas de doutes, ils encourent une condamnation »

Or, les sages du Palais Royal vont édicter, dès leur première décision (CE, 26 février 2016, n°387428), ce principe : «  le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d’ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n’apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables ». Pour Laurent Marcovici, rapporteur à la CAA, on passe d’une présomption de responsabilité à une présomption d’imputabilité où la charge de la preuve est renversée : « Le dossier doit faire ressortir qu’aucun désordre ne résulte de l’action des constructeurs. En cas de doutes, ils encourent une condamnation » ([cf l'article "g...]). Ce fondement prend toute sa portée dans le second arrêt de la haute juridiction. Cette dernière s’est arrêtée sur le fait que : « les désordres survenues trouvent aussi leur cause dans des carences dans la conception des ouvrages… ainsi que dans la réalisation des travaux [des malfaçons affectant l'ouvrage ont été constatées]» afin de reconnaître la faculté pour la commune de poursuivre les constructeurs sur le terrain de la garantie décennale. Cependant, la collectivité a également commis des manquements, elle aurait dû lancer un programme de rénovation complet plutôt qu’une opération partielle comme le préconisait le diagnostic réalisé par l’acheteur avant la passation. Cette faute a été de nature, selon les sages, à atténuer d’un tiers (et non pas à exonérer en totalité) la responsabilité solidaire des constructeurs. 
  

La présomption de responsabilité établie par l’article 1792 envisageable pour l’AMO


Le contentieux s’est ensuite centré sur les appels en garantie. La commune a demandé dans sa requête initiale de condamner solidairement le maître d’œuvre, l’entrepreneur et l’AMO. Les prestataires, à titre subsidiaire, sollicitent également la condamnation des autres intervenants. En revanche, ces actions ne peuvent relever du juge administratif lorsqu’elles sont dirigées envers les assureurs de ces opérateurs, a rappelé la CAA, pour écarter des conclusions allant dans ce sens. La condamnation in solidum de la société exploitante a aussi été recherchée par certains prestataires. Le Conseil d’Etat a rejeté ces prétentions car, tout simplement, cette entreprise n’a pas participé aux opérations de travaux.
Quant à l’AMO, des interrogations sur son statut de constructeur se sont posées. « En application des principes dont s'inspirent les articles 1792 à 1792-5 du code civil, est susceptible de voir sa responsabilité engagée de plein droit, avant l'expiration d'un délai de dix ans à compter de la réception des travaux, à raison des dommages qui compromettent la solidité d'un ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, toute personne appelée à participer à la construction de l'ouvrage » avait affirmé le Conseil d’Etat dans son arrêt Société Icade 3GA et autre (CE, 21 février, n° 330515). En résumé, il suffit (au-delà d’être lié au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ou agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage) que la personne accomplisse une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage. La haute juridiction s’était positionnée dans le cadre d’une maîtrise d’ouvrage délégué.

Il suffit (au-delà d’être lié au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ou agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage) que la personne accomplisse une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage

Dans la présente affaire, elle a toutefois continué à appliquer le même cheminement. Elle s’est attardée sur les prestations confiées à l’AMO, dans le cahier des charges, comme la direction de l’exécution des travaux et la prise de mesure de coordination des travaux et des techniciens. Ainsi, les sages ont reconnu la possibilité d’engager la responsabilité décennale de l’AMO. Les juges lui ont reproché, en l’espèce, un défaut d’information et de conseil car : « elle n’a pas alerté la commune sur l’insuffisance du diagnostic préalable ni pris en compte la spécificité de l’eau minérale ». Pour conclure, l’indemnisation s’élève à 1,4 millions d’euros et l’AMO devra payer 20% de ce montant alors que la maîtrise d’œuvre et l’entrepreneur supporteront chacun 40%, sachant que l’obligation in solidum joue entre les protagonistes.