Les imprimeurs dans la nasse

  • 01/09/2008
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Globalisation et impression sont-elles compatibles ? Une chose est sûre, l’exercice est complexe. Sauf à monter des usines à gaz pour décourager définitivement les imprimeurs, il vaut largement mieux identifier clairement ses besoins. C’est souvent là que se trouve tout simplement la solution.


Si un secteur peut parfaitement illustrer l’inadaptation des stratégies globales d’achats publics à la réalité économique, c’est bien celui de l’impression : « Inadaptation à la réalité économique, mais également à la nôtre, souligne Jean-Marc Joussen, et je ne vois pas comment on peut imaginer une seule seconde globaliser les achats d’impression, car l’imprimerie apporte la démonstration éclatante que la globalisation est chez nous une véritable hérésie ! ». Cet autre dircom le confirme : « On ne peut pas mettre même dans un même panier de l’impression de ville, du feuille à feuille et de l’offset bobine. Sans compter que l’imprimerie connaît aujourd’hui une véritable révolution industrielle avec le développement du numérique… ».
Peut-on d’ailleurs seulement envisager de globaliser les achats d’impression tant la question semble hérétique ? Frantz Guinand apporte un élément de réponse : « À Neuilly, nous avons deux marchés distincts pour les produits d’impression — l’un pour l’offset, l’autre pour le numérique — dont la durée est limitée à un an. Avec ces deux marchés, nous couvrons tous les besoins d’impression de la Ville ». Mais le président de l’Association de la Communication Territoriale ne peut s’empêcher de pointer du doigt des pratiques qui deviennent de plus en plus courantes : « On constate qu’en fonction des critères de sélection des offres, les délais, par exemple, les imprimeurs remplissent des offres non réalistes et appliquent des délais très courts afin de pouvoir être sélectionnés. En pratique, les délais ne sont pas respectés, mais l’acheteur public ne peut rentrer dans un contentieux tant ses besoins sont réguliers et urgents, alors il subit cette relation faussée dès le départ ». N’empêche que, de leur côté, les imprimeurs en ont aussi sous le pied…

Dircoms et acheteurs habillés pour l’hiver

Qui détient le record de la consultation la plus tarte ? Nous ne le saurons pas, car Antoine Rollin (photo ci-contre) est un homme discret. Cet imprimeur blésois se souvient pourtant encore de cet appel d’offres lancé par un Conseil général : « On nous demandait pas moins de 15 000 prix ! ». Incompétence ou sadisme ? « Ce n’était certainement pas du sadisme… » Une façon polie de pointer ce qu’il faut bien appeler de l’incompétence, car comment expliquer autrement que l’on puisse demander 15 000 prix à un imprimeur sur un même appel d’offres ? « C’est vrai qu’on ne peut pas lancer un marché aussi mal bordé, reconnaît Jean-Marc Joussen, et la globalisation peut conduire à ce genre d’absurdité ! ». Antoine Rollin, lui, a le sentiment que lorsque l’on demande autant de références, c’est que le produit n’est pas clairement défini : « Certains directeurs de la communication préfèrent monter des CCTP et des BPU qui ressemblent à des usines à gaz pour éviter d’avenanter leur marché, au cas où… ».

 Des marchés publics très disputés

Installée à Blois, l’imprimerie Rollin réalise un chiffre d’affaires de 4,4 M€, dont environ 15% avec les collectivités. Pour maintenir son activité, Antoine Rollin, qui dirige aujourd’hui cette entreprise familiale créée en 1954, travaille sur la France entière et réalise une grosse part de son chiffre en région parisienne : « Tous nos coûts de production sont orientés à la hausse, s’inquiète-t-il, mais pas les prix… ». Effectivement, les indicateurs révèlent une baisse des prix de 2 à 3% l’an dernier. Autant dire que le marché est sacrément chahuté et que les appels d’offres des collectivités sont disputés : « Et pourtant, convient Antoine Rollin, nous en sommes bientôt rendus à vendre des tours machine, sans plus ». Autant dire que les marchés publics ne permettent pas aux imprimeurs de se ménager des marges suffisantes, et c’est parfois la fuite en avant.

Quelle technique pour quel produit ?

Les imprimeurs français connaissaient déjà depuis une dizaine d’années un inquiétant phénomène de concentration capitalistique puisque quelques groupes étrangers concentrent aujourd’hui l’essentiel de l’impression bobine. Les sites ferment les uns après les autres et les professionnels de la finance jugent que le parc de rotatives est encore trop élevé en France. « Autant dire que les rotativistes se livrent une concurrence acharnée, convient Jean-Marc Joussen, et certaines réponses apportées aux appels d’offres ressemblent plus à de la cavalerie qu’à de l’imprimerie ». Conséquence, les défaillances sont de plus en plus nombreuses : « Dans un Conseil général où j’ai exercé, confie un dircom, il m’est arrivé de téléphoner le soir à notre imprimeur afin de lui annoncer les fichiers pour le lendemain, et, le lendemain, de m’entendre répondre que l’imprimerie était en liquidation ! Et à la commande publique, ils n’avaient même pas vérifié que l’imprimerie était en redressement lorsque le marché lui a été alloué ! ». Reste que les dircoms doivent également balayer devant leur porte et sélectionner les imprimeurs en fonction de leurs besoins : c’est le parc machine qui permettra de cibler le bon fournisseur. Pour les néophytes, une petite explication de texte s’impose, indispensable pour préparer ses appels d’offres et sélectionner ses imprimeurs.

La révolution numérique en marche

Jusqu’à présent, on pouvait segmenter les produits d’impression en trois grandes familles, en fonction des techniques utilisées. Ce que l’on appelait “l’impression de ville” couvrait tout ce qui est entêtes de lettres, cartes de visites, invitations et, plus généralement, tous les tirages assez simples mono ou bichromie. Ce marché est aujourd’hui attaqué par la montée en puissance de la reprographie. La deuxième grande famille, la plus fréquemment utilisée, était l’offset à plat, encore appelée le “feuille à feuille”, utilisée, par exemple, pour les plaquettes ou les magazines dont le tirage n’excède par 25 000 exemplaires. Dernière famille traditionnelle de technique d’impression, l’offset bobine, pour les tirages en grande quantité, comme c’est le plus souvent le cas pour les grandes villes, les agglomérations, les départements ou les régions. « Mais le numérique est venu chambouler tout ça, explique Antoine Rollin, ceux qui sont allés à Düsseldorf ont pu le constater ».

Changement de donne à venir

À Düsseldorf, la Drupa, c’est la grand-messe des imprimeurs, ce salon incontournable qui se tient tous les quatre ans. À l’édition 2008, s’est tenue au mois de mai, le numérique tenait la vedette : « On sait aujourd’hui que, dans un avenir très proche, dans les 2 à 5 ans, les rotatives numériques vont arriver sur le marché, indique Antoine Rollin, le numérique va changer toute la donne, il faut nous y préparer très rapidement ». L’arrivée du numérique va changer considérablement la physionomie du marché et permettre de personnaliser des impressions à partir de 1000 ou 2000 exemplaires. Certes, le coût d’impression est encore assez élevé, mais, avec Internet et la montée en puissance de la dématérialisation, le numérique devrait aussi pousser les dircoms à se tourner vers d’autres supports de communication que le tirage de masse.