La simplification de la commande publique fuite… un peu

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« C'était fatal : avec les tuyaux, il faut sans cesse prendre la fuite ».
Bourvil


« Simplifiez ; simplifiez, il en restera toujours quelque chose ! ». Ce pourrait être la devise du Gouvernement qui se lance dans un nième chantier de simplification, qui n’épargne pas la commande publique. Rien d’officiel, mais "en off", un agenda et une trame circulent sur ce qui devrait être la loi Pacte 2.
A ce stade, l’impression qu’on en retire, c’est qu’au nom de loi fourre-tout de simplification, on s’oriente surtout vers de la dérèglementation … sectorielle et éparse.
Est-ce vraiment un gage de simplification ?
 

Un calendrier et une structure

Le projet de loi serait actuellement à l’étude devant le Conseil d’Etat. Par la suite, toujours selon le calendrier qui circule, il pourrait être présenté en Conseil des ministres le 24 avril, le Gouvernement tablant ensuite sur un examen par le Sénat en juin, et devant l’Assemblée nationale en juillet. On peut parier que le Gouvernement le déclarera d’urgence, et que son souhait est de le faire adopter avant la fin de la session parlementaire de cet été…

Quant au contenu, ce serait assez éparse. Mais le projet de loi (art.17 et s.) s’inscrirait dans le droit fil de la loi "Industrie verte", avec pour principale idée de simplifier dans tous les secteurs à enjeux économique : IA, bien sûr, mais aussi "Data centers", déploiement des réseaux mobiles, simplification des autorisations d’études de projet en énergie et dérogations aux règles d’urbanisme pour l’installation de panneaux solaire, par exemple. 
 

Patchwork

Et du côté de la commande publique ? C’est à l'image de l’ensemble du texte… et de son objet : des mesures diverses et variées.
Pour revenir au solaire, encore récemment, les ministres Bruno Le Maire et Roland Lescure ont annoncé un "pacte solaire" pour soutenir le développement du solaire en France à la fois grâce à la commande publique et par l’engagement des grands acheteurs à recourir davantage aux panneaux français dans leurs commandes. Concrêtement, on trouve par exemple des possibilités de non-allotissement ( art. 17)

Le texte (art. 9) veut décrisper les relations et généraliser les dispositifs de médiation entre les entreprises et les organismes publics, « les promouvoir et en simplifier ». De quoi satisfaire le Médiateur des entreprises, pourtant toujours sur la brèche (relire "Médiateur des entreprises : une année 2023 chargée").

Pour simplifier la vie des entreprises, certaines dispositions (art.10) pourraient venir « Adapter les régimes des sanctions pesant sur les chefs d’entreprises », avec des mesures de « dépénalisation du droit des affaires ». Mystère...

Mystère aussi sur une « simplification du droit des contrats spéciaux ». Là, il s’agirait d’acter une habilitation à agir par ordonnance...

Sans compter une "remise au goût du jour" probable du MPS.... On suivra avec attention un autre dispositif prévu (art.4) pour « faciliter l’accès à la commande publique en ligne » : rendre obligatoire l’utilisation de PLACE. Tiens tiens tiens… on a déjà entendu parler de cela : c’est l’une des mesures proposés par le rapport parlementaire "Rendre des heures aux Français – 14 mesures pour simplifier la vie des entreprises" (relire "Simplification : le rapport parlementaire propose «des supports contractuels novateurs»") : il faudrait « centraliser l’ensemble des consultations de l’Etat, de ses établissements publics et des hôpitaux et organismes de sécurité sociale sur la même plateforme (PLACE, déjà utilisée par la majorité des acheteurs publics de l’Etat) ». Une obligation un peu contraire au précept avancé selon lequel on ne simplifie jamais en obligeant....

Tiens ... On retrouve aussi le "test PME". Olivia Grégoire avait décrit le principe (relire "Rencontres de la simplification : « les écoutilles sont ouvertes»") : « Avant chaque nouvelle norme, nous mettrons en œuvre un « test PME ». Pour évaluer le coût de la norme (financier et horaire) pour les entreprises et aussi que le droit est lisible et compréhensible, pas seulement par un juriste d’une grande entreprises, mais aussi un chef d’entreprise ». Là, c’est quasi une certitude de succès, car le sénat est plus que d’accord sur le principe (relire "« Test PME » : à quoi cela pourrait ressembler").


Un contentieux "unifié"

Le texte (art. 5) proposerait d’unifier le contentieux des marchés publics. Là encore, c’est dans le rapport de "Rendre des heures aux Français – 14 mesures pour simplifier la vie des entreprises", qui propose la création d’un bloc de compétences unique en faveur du juge administratif pour l’ensemble des contrats de la commande publique, « ce qui éviterait les risques de doubles interprétations, sécurisant ainsi les entreprises ».
Mais surtout, en retirant le contentieux des marchés publics du champ des compétences du juge judiciaire, cette unification va conduire à caractériser l’ensemble des marchés publics de contrat administratif. Cela risque de bouleverser beaucoup de choses et les limiers de la rédaction d'achatpublic.info cogitent déjà.
 

Dérogations à la commande publique

C’est assez surprenant, mais on ne voit pas pointer d’augmentation de seuil… Même en matière d’achat innovant ! C’est pourtant l’une des propositions du même rapport de simplification : « créer des supports contractuels novateurs, dédiés à donner un accès simple aux solutions innovantes matures, en dépassant par exemple le plafond de 100 000 € pour les achats innovants sans procédure de publicité ni mise en concurrence préalable. » Le Sénat y serait favorable « le seuil fixé, s'il est sans doute adapté à l'acquisition de logiciels ou de services numériques, est trop bas pour l'achat de produits industriels » ("Transformer l'essai de l'innovation : un impératif pour réindustrialiser la France "- Sénat Rapport d’information - 8 juin 2022)

Le texte entend donc aussi faciliter les "grands projets énergétiques", et notamment le "gré à gré" pour les projets éoliens en mer ….

On a de grandes chances de retrouver (probablement en évitant un doublon…en tout cas, on l’espère !) des dispositions relatives au secteur nucléaire. Là aussi, la partie est en réalité bien engagée : un projet de loi a été examiné par le conseil d’Etat, qui valide le principe de dérogations au droit de la commande publique, qu’il s’agisse d’allotissement, de durée maximale des accords-cadres. Le Conseil d’Etat considère que les dérogations au droit de la commande publique ainsi prévues par le projet de loi sont clairement circonscrites dans leur champ d’application matériel. Il admet le choix du Gouvernement de ne pas codifier ces dispositions dérogatoires, en raison de la spécificité de leur champ d’application (relire "Les projets nucléaires « hors code » reçoivent l’aval du Conseil d’Etat").
 

A qui profite la simplification ? 

C’est à se demander si en matière de commande publique, cette loi loi serait bien une loi de simplification législative au profit du Gouvernement, qui rassemblerait ainsi dans un seul véhicule législatif, la profusion projets de simplification, quelle qu’en soit leur origine…

Au final, les informations sur ce projet de loi laisse entrevoir un vaste patchwork de mesures diverses, de déréglementations sectorielles, reliées entre elles par un fil épais de dispositions dérogatoires.

Pour l’acheteur public, il va falloir jongler un peu plus. Lors de notre dernier "achatpublic invite", notre invitée, la sénatrice Nadège Havet, co auteur du rapport préparatoire (revoir "achatpublic invite Nadège Havet: «La formation des élus à la commande publique, une nécessité!»"), avait répondu à notre question de savoir si la simplification n’est pas prétexte à déréglementation :
- « En augmentant un seuil, en réalité, on déréglemente, non ? 
- «Non… on rend les choses plus faciles ! »


Oui… Mais pour qui ?