Relations entre agences de communication et acheteurs : une suspicion réciproque

  • 01/09/2008
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Pas facile de gérer les relations avec les agences. Les acheteurs affichent une méfiance pathologique, et les dircoms doivent arbitrer afin de trouver les bons critères de sélection. Reste à savoir également s’il faut ou non rémunérer les compétiteurs, et comment s’y prendre.

Mettre des agences en concurrence n’est pas si simple : « Si je n’ai pas envie de me faire racketter, il me semble toutefois normal de les rémunérer lorsque la consultation implique par exemple la fourniture de maquettes, comme pour la nouvelle formule d’un magazine ou la recherche d’un logo. Refuser de les indemniser, ça revient en fait à éliminer les plus petites d’entre-elles », estime Jean-Marc Joussen, l’ex-dircom de la ville d’Angoulême. L’article 49 du Code des marchés publics, même s’il est imparfait, nous en donne d’ailleurs la possibilité ». Reste que l’article 49 est effectivement sujet à caution : « L’article 49 nous dit que l’on peut verser une prime lorsque les consultations impliquent un investissement significatif de la part des candidats. Mais “significatif”, ça veut dire quoi ? »

Etablir un juste milieu pour la rémunération

Le plus simple est de prévoir une enveloppe forfaitaire d’indemnisation dans l’appel d’offre, mais encore faut-il que les agences jouent vraiment le jeu : « Pour une maquette de magazine, si elle est assez évoluée, on peut verser une indemnité de 1 000 à 1 500 euros par candidat. Mais à ce prix, il me faut au moins une première de couverture, la page de sommaire et une ou deux doubles pages d’ouverture de rubrique. Et le danger, avec ce système, c’est de devoir rémunérer des agences qui vont nous présenter les maquettes refusées ailleurs… ». Frantz Guinand est un peu sur la même longueur d’onde : « Rémunérer lorsque c’est justifié, c’est effectivement plus correct. Nous constatons que les agences répondent de moins en moins aux marchés non rémunérés car les frais peuvent être parfois importants. Mais il existe l’effet pervers inverse où les agences répondent en masse parce que la consultation est rémunérée. Il faut donc établir un juste milieu quant au montant de la rémunération. Et là encore, comment prévoir le nombre d’agences qui vont répondre, donc le budget à prévoir, donc les seuils ? ».

Les critères de la mise en concurrence

Sur quels critères objectifs peut-on mettre en concurrence les agences ? « On peut aussi se demander comment évaluer une mission de conseil, souligne Frantz Guinand, ou encore s’il faut isoler leurs interventions pour les rattacher à des unités fonctionnelles ? ». Selon les dircoms, les critères retenus seront différents. Si Jean-Marc Joussen souhaite poser des critères de sélection assez stricts, il se méfie toutefois des agences spécialisées : « Se restreindre aux seuls spécialistes de la communication territoriale, c’est évidemment plus confortable, explique-t-il, mais c’est surtout la certitude pour nous de passer à côté de la petite surdouée qui saura proposer autre chose que les poncifs habituels. Je préfère ouvrir mes consultations plutôt que d’être forcé à rouler avec des spécialistes de la communication publique qui s’endorment sur leur image et ne proposent plus que du politiquement correct ! ». À Neuilly, Frantz Guinand veut aussi pouvoir faire jouer à plein la concurrence et ouvrir ses consultations à des agences qui ne sont pas forcément en cour dans l’univers territorial : « Il faut sortir des sentiers battus, explique-t-il, et avoir le courage d’explorer la nouveauté. A-t-on vraiment toujours besoin d’une grande agence pour quelques travaux de création, de mise en pages ou d’exécution ? Pour cela, c’est à nous de rebattre les cartes régulièrement et de privilégier une mise en concurrence par média ou par type d’opération, plutôt que de miser sur le conformisme ».

Une suspicion réciproque

Côté agences, les consultations lancées par les collectivités laissent certains perplexes, comme José Miceli (photo ci contre), qui, à 37 ans, est directeur associé de Paradox, une agence de communication multicanal et marketing basée à Paris et Roubaix : « Oui, nous avons beaucoup d’interrogations sur les appels d’offres des collectivités, convient-il, et on peut légitimement s’interroger sur l’égalité des chances des acteurs en présence. Le profil des agences sélectionnées est souvent assez disparate tout comme le sont souvent les critères réels de sélection : références, réseau relationnel, affinités politiques, lobbying, quand il ne s’agit pas de méthodes à la déontologie douteuse… ».

Réfléchir aux critères de sélection des agences

Peut-on toujours parler de décision objective sur le choix du prestataire retenu pour mener à bien le projet ? Pour José Miceli, on doit d’abord réfléchir à la définition des critères de sélection des agences : « Il convient tout d’abord de définir précisément les contours de l’appel d’offres et les domaines de compétence recherchés. En effet, une agence de communication généraliste peut-elle être à même de répondre avec succès à un appel d’offres qui englobe de la communication électronique, de l’édition, de l’affichage, de l’institutionnel ? Force est de constater, poursuit-il, que les appels d’offres émis demandent un domaine de compétences assez large qui amène les collectivités à choisir une agence de communication qui présentera logiquement quelques limites pour répondre à l’étendue du périmètre. Une agence de communication n’est pas un mouton à cinq pattes ! ».

Critères de sélection ou réels critères d’expertise ?

Avec des références comme le Crédit Agricole, LCL, le Groupe Taitbout, le Gan, ou, plus près de nos préoccupations, la Ville de Cambrai, Paradox veut se distinguer par son expertise stratégique : « Mais aussi par notre effervescence créative, par la souplesse de nos modes de collaboration, l’efficacité de notre suivi des dossiers ». On l’aura deviné, José Miceli sait vendre l’expertise de son agence. Mais les logiques suivies par certaines collectivités ont tendance à le déconcerter : « Les critères de sélection devraient s’opérer en fonction de critères d’expertise sur un domaine visé ou au regard des expériences menées pour d’autres acteurs du marché. Ce qui doit cependant laisser une marge de manœuvre à de nouveaux entrants qui devront davantage miser sur leur faculté à faire émerger une idée, un parti pris stratégique ou créatif ».

Cahier des charges : laisser une marge d’interprétation

En effet il faut pouvoir ouvrir un appel d’offres et laisser une marge d’interprétation du cahier des charges défini. La différenciation peut être un critère de choix supplémentaire. « N’oublions jamais que la communication est une technique qui s’appuie également sur des fondements subjectifs inhérents à une dimension cognitive, affective, relationnelle où les idées doivent également trouver leur place ! », poursuit-il. Pour José Miceli, remporter un appel d’offres peut présenter statistiquement autant de chances qu’un nouveau jeu de la Française des Jeux : « Il convient donc, pour nous, d’investir le temps nécessaire pour y répondre et mobiliser avec précision les ressources humaines. L’appel d’offres est non seulement chronophage, mais il représente également un investissement financier qui va mobiliser un chef de projet, un consultant et une équipe créative. Et, presque systématiquement, les travaux présentés ne sont pas facturés… Les agences travaillent souvent bénévolement à ce stade de la consultation ! », regrette-t-il.