Commande publique : vous avez dit "MGPEPD" ?

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"Devenir adulte, c'est reconnaître, sans trop souffrir, que le "Père Noël" n'existe pas. C'est apprendre à vivre dans le doute et l'incertitude."
Hubert Reeves



C’est sûr ! Avec ce titre d’édito, "vous avez dit MGPEPD ?", le professeur Grégory Kalflèche va nous en vouloir ! Lui qui écrit dans nos colonnes, à propos du marché global de performance énergétique à paiement différé : « les marchés globaux de performance énergétique à paiement différé, dont on espère que personne ne les appellera "MGPEPD " » (lire " [Tribune] Grégory Kalflèche : « Les marchés globaux de performance énergétique à paiement différé , nouvelle preuve de la difficulté de classifier les contrats globaux »").

Une fois ces excuses présentées au Professeur, il faut aussi convenir que ce n’est pas tous les jours que le droit de la commande publique accueille un nouveau modèle de marché public... aussi particulier.
Célébrons ensemble, avec la plus grande objectivité possible, sa naissance... avec, quand même, un certain nombre d’interrogations à la clé.
 

Né dans l’urgence

Le marché global de performance énergétique à paiement différé a été conçu dans le contexte global de la crise écologique, et pour enrichir l'arsenal juridique pour enclancher la transition énergétique, au même titre que le "PPA" (un autre sigle pour "Power Purchase Agrement" (loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables - relire "Achat direct d’énergie locale verte sur des contrats de longue durée : c’est parti !")

Au nom de l’urgence à faciliter (et financer !) la transition énergétique, ces deux nouveaux dispositifs contractuels battent en brèche des principes que l’on croyait immuables.
 

Des "transgressions" expérimentales admises

Pour le PPA, c’est le principe de durée limitée du contrat. En effet, selon le nouvel article L.331-5 du Code de l’énergie, la durée de contrat est définie en tenant compte de la nature des prestations et de la durée d'amortissement des installations nécessaires à leur exécution, y compris lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'acquiert pas ces installations (relire "PPA : une brèche législative dans le principe de durée limitée des marchés publics ?").

Pour le nouveau marché global de performance énergétique, c’est le paiement différé bouscule notre code. « A titre expérimental » et sur une durée de 5 ans, il permet à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales de déroger au principe d’interdiction du paiement différé dans les marchés public, par exception aux articles L. 2191-5 et L. 2191-6 du Code de la commande publique.

Une "expérimentation", on vous dit ! Le Gouvernement vient de devoir préciser, pour « éviter toute erreur d'interprétation », qu'on ne pouvait s'attendre à ce nouveau marché s'applique, par exemple, aux opérations de rénovation de l'éclairage public... elles aussi liées à l'énergie ; elles aussi constituant un « spot de dépenses important » dans le budget des collectivités territoriales (lire "Marché global de performance énergétique : un champ d’application « extensible » ?").

 

Argument "massue"

Lors de la présentation officielle du nouveau-né au Conseil régional d’Île-de-France, notamment par le ministre délégué auprès du ministre de l'Économie et des Finances, Thomas Cazenave, il est rappelé avec insistance que mot d’ordre auquel répond le MGPEPD, c’est l’accessibilité. C’est un nouvel outil destiné aussi bien pour les grands que les petits acheteurs publics. Discours accompagné d’un argument "massue" : c’est au titulaire du contrat de se charger du financement du projet ; une étape en moins pour l’acheteur public. Ce dernier commencera à le rembourser au fil de l’eau à partir de la fin des travaux (lire " Le MGP énergétique à tiers financement, pour accélérer la rénovation énergétique partout en France").

« C’est bien le préfinancement privé des travaux qui est l’objectif » assène le Professeur Kalflèche. Et à la plus grande échelle possible : il n’y a pas de seuils minimums pour ces marchés globaux de performance énergétique à paiement différé.
 

Un marché génétiquement modifié

Ce qui fait aussi la particularité du marché global de performance énergétique à paiement différé, c’est son ADN. Il puise par construction à la fois dans le PPP et dans le marché global de performance, comme l’analyse en détail le Professeur Kalflèche. D’une part, « Les nouveaux textes recréent une sous-catégorie des contrats de performance limitée aux rénovations énergétiques, une sous-catégorie sectorielle ». D’autre part, « le nouveau contrat emprunte aux marchés de partenariat bien plus qu’aux autres contrats globaux : il inclut le financement de l’opération ».
Une nature hybride qui a conduit le législateur à le doter d’un régime lui aussi hybride, avec une étude préalable et une étude de soutenabilité budgétaire (relire "Etudes préalables au tiers financement des marchés globaux de performance énergétique : décret publié !").
 

Des appréhensions financières à lever

Le dispositif est en place, pour cinq ans, à titre expérimental. Ce statut particulier sera-t-il à même de lever les appréhensions qui entouraient, dès sa conception le marché global de performance ?

Selon Maître Berkovicsz, un des objectifs de la proposition de loi porteuse était surtout de surmonter la mauvaise réputation, notamment auprès des collectivités territoriales, du marché de partenariat ou PPP (relire "Ouverture du tiers financement : couvrez ce PPP que je ne saurais voir !"). Et notamment le spectre d’un endettement lourd et la fragilisation des finances locales.
Contre-argument avancé : il y a une différence fondamentale avec le marché de partenariat puisque la maîtrise d’ouvrage demeurera dans ce MGP à paiement différé du côté de la collectivité (relire "[Tribune] MGP avec tiers financement : l’enfer est pavé de bonnes intentions…") .

A l’époque, ce sont les sénateurs, surtout, qui avaient formulé doutes et craintes, exigeant de nombreuses garanties : « il s’agit d’outil complémentaire, qui n’a pas vocation à être systématisé. Il ne doit pas non plus fragiliser les finances locales. » « À l’issue de l’expérimentation, nous devrons nous assurer que les collectivités territoriales se sont saisies du dispositif et que celui-ci n’a pas entraîné de mauvaises pratiques ni de mauvaises dettes » . « Il s’agira de s’assurer que les dérogations au code de la commande publique sont pleinement justifiées et que les collectivités territoriales en difficulté sont accompagnées » (relire "Paiement différé et durée des contrats dans la commande publique : faisons un point fixe !").

Les deux études susmentionnées ont pour objet de sécuriser le montage. Mais leur complexité et le temps qu’elles nécessiteront pourraient d’emblée faire reculer certaines entités publiques, et notamment les collectivités territoriales... pourtant "cœur de cible". FinInfra assure de son assistance... tout en indiquant aucune volonté de contrôle de sa part.

Alors, pourquoi un nouveau marché hybride. A qui s’adresse-t-il ? Souffre-t-il de maladies congénitales incurables ? Il va falloir s’en assurer ....
Jeudi 26 octobre, avec Maître Berkoviz, nous nous livrerons à un examen de santé post natal complet du nouveau-né du droit de la commande publique (lire "achatpublic invite... Grégory Berkovicz").