
La commande publique sous enquête sénatoriale : « C’était la dernière séance… »

« You can't judge a book by the cover » (on ne peut pas juger un livre à sa couverture)
Bo Diddley -Willie Dixon -1962
Même les meilleures séries ont une fin (en principe…). Cette semaine, la Commission d’enquête sénatoriale sur la commande publique a terminé ses auditions, entamées le 18 mars.
Une commission d‘enquête sur la commande publique ? La rédaction d’achatpublic.info s’est ruée dessus ! Elle s’est appliquée à vous en proposer, chaque jeudi, une synthèse (voir ci-après). Au final, au cours des auditions retransmises en direct, pas moins de 85 personnes ont juré au Président de la commission, Simon Uzenat, de « dire la vérité ». Mais il faut aussi compter les déplacements que la commission a pu effectuer en région (en Bretagne) ou à Bruxelles, ou au sein de certaines administrations (la Direction des achats de l’Etat a ainsi invité la commission à découvrir sur place son SI Achats…)
La restitution de ces travaux, leur analyse et leur traduction en propositions va être fastidieuse ! Le rapport final est annoncé pour le début juillet. D’ici là, achatpublic.info peut se permettre de livrer son analyse de cette série à épisode, puisqu’elle n’en a manqué aucun !
Un titre accrocheur
Une enquête sur "les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française" … En voilà un titre alléchant et prometteur ! On peut s’attendre à une analyse de la réglementation de la commande publique et de sa pratique sous le prisme de l’efficacité et de la performance. Autrement dit, une analyse critique, qui fait écho au rapport de la Cour européenne des comptes sur l’efficacité des directives marchés (relire "Commande publique européenne : la concurrence en régression. « Mais que fait la Commission ? » ").
Ce travail s’inscrit aussi dans le cadre de la révision des directives (« une initiative législative nous a été annoncée pour la fin 2026 » indique le président de la commission Simon Uzenat) et pourrait alimenter les contributions de la France à la Commission européenne.
En même temps, il pourrait étayer ou balayer certains amendements du projet de loi de "Simplification de la vie des entreprises", toujours en cours d’examen à l’Assemblée nationale. Son vote solennel est prévu pour le 17 juin, avant très certainement de passer en commission mixte paritaire au cours de la cession parlementaire extraordinaire (Décret du 11 juin 2025 portant convocation du Parlement en session extraordinaire).
Ce travail s’inscrit aussi dans le cadre de la révision des directives (« une initiative législative nous a été annoncée pour la fin 2026 » indique le président de la commission Simon Uzenat) et pourrait alimenter les contributions de la France à la Commission européenne.
En même temps, il pourrait étayer ou balayer certains amendements du projet de loi de "Simplification de la vie des entreprises", toujours en cours d’examen à l’Assemblée nationale. Son vote solennel est prévu pour le 17 juin, avant très certainement de passer en commission mixte paritaire au cours de la cession parlementaire extraordinaire (Décret du 11 juin 2025 portant convocation du Parlement en session extraordinaire).
Un scénario prometteur
Enquêter sur l’efficacité de la commande publique, c’est dans le contexte national, interroger son coût, sa mesure. Et surtout constater la complexité et les difficultés d’accès notamment pour les PME/TPE. D’ailleurs, les premières auditions témoignent de cette approche : Faut-il augmenter les seuils de procédures ? Les acheteurs publics sont-ils en surnombre et suffisamment formés ? L’ère du "contract manager" est-elle arrivée ou bien l’acheteur public reste encore un juriste soucieux d’abord de sécuriser les procédures de passation ? Comment sont remontées et exploitées les données de l’achat public ? Quel sera le rôle de l’IAG dans leur exploitation et dans l’allègement du métier acheteur ? Bien sûr, comment favoriser l’achat local ? L’économie circulaire et la loi Agec tiennent-elles leurs promesses ?
Bref, des sujets au cœur de la commande publique et du quotidien des acheteurs. On pouvait donc s’attendre légitimement à un véritable bilan de santé de l’achat public.
Bref, des sujets au cœur de la commande publique et du quotidien des acheteurs. On pouvait donc s’attendre légitimement à un véritable bilan de santé de l’achat public.
Un casting déséquilibré ?
Mais le casting a rapidement annoncé une orientation de la commission d’enquête un peu différente. Associations d’élus de collectivités territoriales de toutes tailles, économistes, avocats, associations d’acheteurs publics, universitaires ont été écoutés ; représentants des grandes directions ministérielles (DAE, DAJ Dinum) entendus ; centrales d’achats et ministres convoqués. Assurément, le versant "acheteur public" de la commande publique a bien été couvert par la Commission d’enquête.
En revanche, côté entreprises, le casting interroge. A part l’audition de la Chambre du commerce et de l’industrie de Paris et région l’Île de France, les seules entreprises qui ont été auditionnées sont celles de la "French tech"… et Microsoft ! On avait imaginé que la Commission entendrait notamment le secteur du BTP. D’abord parce que les marchés de travaux sont significatifs ; ensuite parce que le secteur est très structuré, avec des fédérations professionnelles solides.
Et bien… non !
On ne peut imaginer que ce faible nombre de convocations des représentants des entreprises relève d’un oubli. En revanche, la très forte teneur en entreprises du numérique révèle le véritable objet de la Commission d’enquête.
En revanche, côté entreprises, le casting interroge. A part l’audition de la Chambre du commerce et de l’industrie de Paris et région l’Île de France, les seules entreprises qui ont été auditionnées sont celles de la "French tech"… et Microsoft ! On avait imaginé que la Commission entendrait notamment le secteur du BTP. D’abord parce que les marchés de travaux sont significatifs ; ensuite parce que le secteur est très structuré, avec des fédérations professionnelles solides.
Et bien… non !
On ne peut imaginer que ce faible nombre de convocations des représentants des entreprises relève d’un oubli. En revanche, la très forte teneur en entreprises du numérique révèle le véritable objet de la Commission d’enquête.
Une saga : "La quête de la souveraineté numérique"
Toutes les auditions ont systématiquement emporté leur lot de questions sur l’achat public de solutions numériques par l’Etat et ses établissements et la prise en compte des enjeux de souveraineté : Groupe Imprimerie nationale, Plateforme des Données de Santé publique, Ecole polytechnique… Les sénateurs ont marqué, parfois avec une forme de violence verbale, leur incompréhension : l’achat public de solutions numériques par l’Etat se fait dans un « brouillard », une « chaîne d’irresponsabilités », qui les a choqués.
Leur "bête noire", c’est Microsoft et sa suite numérique 365, dont les représentants ont été convoqués le 10 juin.
La colère des sénateurs a très largement transpirée dans ce qui n’était plus des questions, mais des constats : « Comment pouvez-vous vous dédouaner du respect des obligations de souveraineté, que vous êtes censés garantir, ne serait-ce par des préconisations et mises en garde ? » ; « Il n’y a pas de pilote dans l’avion » ; « Beaucoup d’acteurs, avec des pouvoirs variables, mais sans coordination, tout se percute ! » ; « Verra-t-on un jour un appel d’offres en bonne et due forme prenant en compte la dimension stratégique de souveraineté des données intégrant des critères pour être conforme à la loi ? » « Il y a là une question d’opacité ! En tant que parlementaires, nous sommes extrêmement inquiets de vos propos ». De quoi monter un excellent "teaser", non ?
Bon, maintenant, nous pouvons l’avouer : chaque semaine, nous attendions un peu les coups de gueule des sénateurs. Même si parfois, cela pouvait mettre mal à l’aise : il était évident que leurs "cibles" n’étaient pas toujours, ne serait-ce que fonctionnellement, en mesure de répondre aux reproches qui leur étaient adressés. Et oui, certains choix (ou non-choix) sont bien politiques ! Aussi, l’audition des ministres les 10 et 11 juin (lire "(12) : les ministres à la barre !") a eu plus de sens …
Leur "bête noire", c’est Microsoft et sa suite numérique 365, dont les représentants ont été convoqués le 10 juin.
La colère des sénateurs a très largement transpirée dans ce qui n’était plus des questions, mais des constats : « Comment pouvez-vous vous dédouaner du respect des obligations de souveraineté, que vous êtes censés garantir, ne serait-ce par des préconisations et mises en garde ? » ; « Il n’y a pas de pilote dans l’avion » ; « Beaucoup d’acteurs, avec des pouvoirs variables, mais sans coordination, tout se percute ! » ; « Verra-t-on un jour un appel d’offres en bonne et due forme prenant en compte la dimension stratégique de souveraineté des données intégrant des critères pour être conforme à la loi ? » « Il y a là une question d’opacité ! En tant que parlementaires, nous sommes extrêmement inquiets de vos propos ». De quoi monter un excellent "teaser", non ?
Bon, maintenant, nous pouvons l’avouer : chaque semaine, nous attendions un peu les coups de gueule des sénateurs. Même si parfois, cela pouvait mettre mal à l’aise : il était évident que leurs "cibles" n’étaient pas toujours, ne serait-ce que fonctionnellement, en mesure de répondre aux reproches qui leur étaient adressés. Et oui, certains choix (ou non-choix) sont bien politiques ! Aussi, l’audition des ministres les 10 et 11 juin (lire "(12) : les ministres à la barre !") a eu plus de sens …
Tout est relatif … et en lien !
On peut regretter que la Commission d’enquête se soit focalisée sur la question, certes à bien des endroits inquiétante, d’un achat public de solutions numériques peu sensible aux questions de souveraineté, de sécurité et de soumission à l’extra territorialité des lois nord-américaines A posteriori, on se dit que compte tenu des enjeux ciblés, la constitution d’une commission d‘enquête, dotés de pouvoirs assez sérieux, s’explique.
Pour autant, les conclusions de la Commission d’enquête pourraient facilement dépasser le cadre des achats publics de solutions numériques.
En regrettant une forme d’inorganisation, notamment entre les différentes directions et agences de l’Etat, la Commission d’enquête a pu constater que ce n’est pas nécessairement le code de la commande publique qu’il faudrait simplifier.
En pestant contre cette incapacité à mesurer l’achat public, la commission a mis en valeur la question sensible de la remontée et de l’exploitation des données… et le risque d’augmenter les seuils.
En s’agaçant de l’incapacité de certains hauts fonctionnaires à répondre à certaines questions, elle a pointé le sujet plus général de la définition et de la conduite des politiques achats. En les poussant dans leurs retranchements, elle leur a fait reconnaître que parfois, ils sont tenus de chercher plutôt l’efficacité que le respect de la commande publique, surtout sous la pression « du plus haut niveau ».
En râlant contre certains achats, pourtant en réalité effectués en toute conformité avec le code de la commande publique, il a pu vérifier la réglementation n’est qu’un outil et que l’achat public est d’abord un acte économique… donc politique.
En fulminant contre l'achat de solutions numériques Microsoft, la Commission a pu constater que le code de la commande publique, qui vise d’abord à faire jouer la concurrence au bénéfice de l’acheteur public, ne sera jamais efficace si le secteur est monopolistique… ou si le marché ne répond pas.
Et « On ne crée pas des entreprises avec une loi » s’est–elle entendue dire...
Pour autant, les conclusions de la Commission d’enquête pourraient facilement dépasser le cadre des achats publics de solutions numériques.
En regrettant une forme d’inorganisation, notamment entre les différentes directions et agences de l’Etat, la Commission d’enquête a pu constater que ce n’est pas nécessairement le code de la commande publique qu’il faudrait simplifier.
En pestant contre cette incapacité à mesurer l’achat public, la commission a mis en valeur la question sensible de la remontée et de l’exploitation des données… et le risque d’augmenter les seuils.
En s’agaçant de l’incapacité de certains hauts fonctionnaires à répondre à certaines questions, elle a pointé le sujet plus général de la définition et de la conduite des politiques achats. En les poussant dans leurs retranchements, elle leur a fait reconnaître que parfois, ils sont tenus de chercher plutôt l’efficacité que le respect de la commande publique, surtout sous la pression « du plus haut niveau ».
En râlant contre certains achats, pourtant en réalité effectués en toute conformité avec le code de la commande publique, il a pu vérifier la réglementation n’est qu’un outil et que l’achat public est d’abord un acte économique… donc politique.
En fulminant contre l'achat de solutions numériques Microsoft, la Commission a pu constater que le code de la commande publique, qui vise d’abord à faire jouer la concurrence au bénéfice de l’acheteur public, ne sera jamais efficace si le secteur est monopolistique… ou si le marché ne répond pas.
Et « On ne crée pas des entreprises avec une loi » s’est–elle entendue dire...
Nos synthèses hebdomadaires des auditions de la Commission d‘enquête :
- (12) Les ministres à la barre !
- (11) Achat de solutions numériques US, une chaine d'irresponsabilités ?
- (10) Probité et nécessité impérieuse
- (9) Economie circulaire, plan de progrès et Spaser entrent dans la partie
- (8) L'achat public hospitalier en difficulté
- (7) Les achats numériques de l’Etat sur la sellette
- (6) Lourdes inquiétudes sur la souveraineté numérique
- (5) « On ne plaisante pas avec la souveraineté ! »
- (4) « Mais où sont les chiffres ? »
- (3) De l’acheteur "local" à "l’acheteur régalien"
- (2) Seuils, souveraineté et analyse économique au cœur des échanges
- (1) Ce qu’il faut retenir des premières auditions


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