Faut-il indiquer les critères de jugement des offres dans une DSP ?

  • 21/01/2010
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Patrick Labayle-Pabet, avocat spécialiste en droit public au cabinet Denton Wilde Sapte et conseil de la société requérante lors de la procédure en référé précontractuel à l'origine de l'affaire, revient sur l'arrêt récent par lequel le Conseil d'Etat a posé le principe d'affichage des critères de sélection des offres en matière de délégation de service public.

Une fois la sélection des candidatures effectuée, la loi Sapin, dont les dispositions sont codifiées au code général des collectivités territoriales, prévoit que les offres sont "librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire" (art. L. 1411-1 du CGCT). Cette rédaction souple a pour conséquence de ne pas imposer de formalisme particulier pour la phase de négociation (nombre de tours, durée des réunions, type de document à remettre, etc.). Par ailleurs, pour ce qui concerne le choix, la loi prévoit qu'après avoir engagé librement toute discussion utile, l'autorité habilitée à signer  "saisit l'assemblée délibérante du choix de l'entreprise auquel elle a procédé", de telle sorte qu'il était jusqu'alors considéré que la loi Sapin n'imposait pas à la personne publique d'annoncer les critères sur la base desquels elle se fondait pour le choix du délégataire. Ainsi, si on laisse de côté la question spécifique de l'indication des critères de choix lorsque plusieurs options de durée sont possibles (CE, 25, décembre 2008, Communauté intercommunale des villes solidaires, n°312350), le Conseil d'Etat avait jusqu'alors jugé que ce n'est que lorsque l'autorité délégante choisit de faire connaître ses critères de sélection des offres dans l'avis d'appel public à la concurrence, qu'elle ne peut ensuite les modifier sans porter atteinte au principe de transparence des procédures et d'égal accès des candidats (CE, 20 octobre 2006, Communauté d'agglomération Salon Etang de Berre, n°187198). Dans ses conclusions sur cette affaire, le commissaire du gouvernement Didier Casas avait clairement souligné que le principe de libre négociation par l'exécutif impliquait que les personnes publiques n'étaient "nullement tenues d'annoncer à l'avance les critères sur lesquels elles font leur choix" (BJCP n°50, p.32). Toutefois, dans un contexte où, en matière de marchés publics, on assiste depuis 2001 à un encadrement croissant de la phase de sélection des offres, (passage d'une simple obligation de hiérarchisation des critères prévue à l'article 53 de l'ancien code de 2001, à une obligation d'affichage de la pondération des critères voire des sous-critères), la majorité des personnes publiques délégantes utilisent déjà des critères en matière de DSP et certaines ont même transposé les pratiques issues du droit des marchés publics relatives à la pondération ou à l'affichage de sous-critères.

Le recours aux principes généraux du droit de la commande publique

Dans l'affaire de Versailles, qui concernait la passation d'une délégation de service public pour le service d'audioguidage dans le cadre de la visite du Château, une fois opérée la sélection des candidatures, l'établissement public avait adressé aux candidats un dossier de consultation qui se bornait à décrire le contenu de l'offre technique à remettre, mais qui ne comportait aucune indication sur les critères de jugement des offres. Après remise de l'offre initiale, la société sortante s'était vue inviter à une réunion de négociation à l'issue de laquelle la personne publique lui a notifié son élimination, sans qu'elle ne soit jamais invitée à améliorer son offre par la remise d'un document écrit complémentaire. Une telle absence de demande d'amélioration de l'offre aurait d'ailleurs peut être pu être critiquée, ainsi que l'a récemment jugé le TA de Dijon pour qui la simple demande de compléments d'information sans invitation à remettre des propositions complémentaires de nature à améliorer l'offre revient à vider de sa substance la phase de négociation (TA Dijon, 20 avril 2009, Société Lyonnaise des eaux, n°0900876, AJDA 2009 p. 1566). Ce n'est cependant pas la voie qu'a décidé de suivre la société évincée qui a saisi le juge du référé précontractuel en raison de la méconnaissance des règles de publicité et mise en concurrence découlant de l'absence d'indication des critères de choix des offres. Devant le tribunal administratif de Versailles, c'est le fameux arrêt Telaustria (CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria, rec. CJCE I. p. 10747) qui avait conduit le juge des référés à annuler la procédure, en considérant que les obligations résultant du Traité de non-discrimination fondée sur la nationalité et d'impartialité impliquaient d'informer les candidats sur les critères de jugement des offres en application du principe communautaire de transparence (TA Versailles, 9 juillet 2009, n°0905564). En cassation, il a pu sembler difficile de confirmer un revirement de jurisprudence aussi important, procédant d'un raisonnement proche de l'interprétation contra legem, sur la base du seul "super Telaustria" pour lequel plus rien ne semble impossible (obligation de publicité des concessions de service, mise en concurrence des conventions domaniales, publicité des sous-critères, etc.). Dans le prolongement du raisonnement suivi par la  Cour administrative d'appel de Lyon, qui avait abouti à la même solution sur le fondement du seul droit interne (CAA Lyon, 14 mai 2009, Semerap, AJDA 2009 p. 1831), la Haute Assemblée a finalement estimé que les principes généraux du droit de la commande publique de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, imposaient aux personnes publiques d'apporter aux candidats une information sur les critères de sélection des offres. Alors que le contrat en cause était d'une importance européenne, le Conseil d'Etat a d'ailleurs pris le soin de souligner que ces règles s'imposaient à l'ensemble des délégations de service public, qu'elles entrent ou non dans le champ du droit communautaire.

Vers une analyse globale des critères de choix des offres

Une fois posé le principe d'indication des critères de jugement, il restait au Conseil d'Etat à apporter des précisions sur sa portée, ainsi que sur les conséquences pratiques induites. S'agissant des modalités d'information sur les critères, le Conseil d'Etat considère que le simple envoi aux candidats du document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations et les conditions de tarification du service (art. L. 1411-1 du CGCT) ne saurait suffire à remplir cette obligation d'information. Cette précision apportée par le juge de cassation mérite d'être saluée puisque décrire le contenu d'une offre et en expliquer les modalités de jugement sont bien deux choses différentes. Ainsi, en pratique, certains éléments demandés pour l'offre dans la proposition technique peuvent ne pas faire l'objet d'un jugement en application des critères d'analyse des offres et, à l'inverse, il est parfaitement envisageable que les critères utilisés par la personne publique pour l'analyse des offres ne ressortent pas des éléments demandés dans la proposition technique. Au terme d'un subtil rappel de la lettre de la loi Sapin, le Conseil précise en outre que le principe de libre négociation implique que la personne publique n'est pas tenue d'informer les candidats sur les modalités de mise en œuvre de ces critères, mais qu'elle choisit au contraire le délégataire au regard d'une appréciation globale, sans être contrainte par une méthodologie d'utilisation des critères préalablement déterminée. En pratique, comme pour les marchés à procédure adaptée visés par la décision "ANPE" (CE, 30 janvier 2009, ANPE, n°290236), l'analyse des offres à une délégation de service public pourra donc s'opérer de façon globale, sans qu'il ne soit besoin de pondérer, ni même de hiérarchiser les critères (on rappellera à ce titre qu'attribuer un poids équivalent à tous les critères constitue une forme de pondération). La désignation de Bertrand Da Costa comme rapporteur public dans l'affaire de Versailles lui a donc donné l'occasion d'achever le cycle ouvert par l'arrêt ANPE, en étendant la solution dégagée aux délégations de service public. Compte tenu de l'importance du nombre de contrats soumis à la loi Sapin et de l'absence de directive encadrant la passation des concessions de service, la précision apportée par le Conseil d'Etat aura donc de fortes conséquences, au-delà du secteur de l'audioguidage dans les musées, dans les secteurs donnant traditionnellement lieu à la conclusion de conventions d'affermage, tels que ceux de l'eau, des déchets ou encore des transports. Le principe ainsi posé devrait conforter les acheteurs qui utilisaient déjà des critères hiérarchisés, voire pondérés et il pourrait en convertir d'autres. On peut néanmoins espérer que cette décision ne sera pas trop sujette à "sur-interprétation" et que les autorités délégantes continueront de bénéficier de la souplesse qui caractérise la passation des délégations de service public, en raison de leur spécificité au sein des outils de commande publique. Une telle analyse globale des critères, sans hiérarchisation ou pondération, existe déjà en pratique, au stade de la sélection des candidatures, que ce soit en matière de délégation de service public, mais également en matière de marchés dans les procédures sans limitation du nombre de candidats admis à présenter une offre (CE, 8 août 2008, Région de Bourgogne, n°307143). Au final, la décision apparaît cohérente par rapport au contexte jurisprudentiel général très largement irrigué par le principe de transparence, dont la mise en œuvre semble impliquer un encadrement toujours plus strict des différentes procédures en matière de contrats publics. 

CE 23 décembre 2009 musée de Versailles

Patrick Labayle-Pabet © achatpublic.info