Santé : des stratégies nationales... une anticipation locale

  • 19/07/2019
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"Que la stratégie soit belle est un fait, mais n'oubliez pas de regarder le résultat"
(Winston Churchill)
En 2017, 538 signalements de ruptures ou tensions d’approvisionnement ont été recensés en France par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Un triste record : en 2008, "seuls " 44 signalements avaient été faits. La situation ne s’arrange pas, car on estime que le nombre de médicaments en rupture a été multiplié par dix depuis 2009.
Ces jours-ci, ce sont des difficultés d’approvisionnement concernant les corticoïdes qui provoquent l’inquiétude des médecins et des patients. Le gouvernement, après la médiatisation de nouvelles pénuries, annonce se saisir du dossier. Le ministère de la Santé souhaite améliorer la gestion du circuit du médicament et définir, en septembre prochain, un "plan définitif". Les pistes envisagées reposent sur un meilleur partage de l’information et une meilleure gestion de ce circuit, du fabricant jusqu’à la pharmacie. La ministre Agnès Buzin prône également davantage de «coopération européenne», en poursuivant les discussions sur l’achat groupé notamment de vaccins essentiels au niveau européen.
En réalité, l’alerte est donnée depuis plusieurs mois. Une proposition sénatoriale de loi pour lutter contre les pénuries de médicaments et de vaccins (n° 463) a été déposée le 16 avril 2019. Là encore, il s’agirait de renforcer la stratégie nationale de lutte contre les difficultés d’approvisionnement, de garantir l’approvisionnement continu de médicaments et de recréer les conditions d’une production pharmaceutique de proximité. 
 

Mondialisation et proximité 

La proximité, certes, car si la mondialisation de la production des médicaments est sans doute la raison principale des tensions locales sur les stocks de médicaments, c'est toujours sur le terrain qu'une réponse doit être donnée. Notre enquête " Pénurie de médicaments : acheter hors marché ?" montre que la gestion de la pénurie fait bien désormais partie du quotidien de l’acheteur public local. Lequel, en conséquence, prend des risques. D'abord, les services achats doivent réagir très rapidement : " Ils n’ont parfois qu’une semaine pour acheter la solution de remplacement". En outre, les pénuries pouvant durer plusieurs mois, l’acheteur doit aussi se lancer dans des "marchés temporaires à durée imprévisible". Le réflexe est alors d'anticiper le risque financier : au fournisseur "défaillant" de payer la différence si le prix est plus élevé que celui prévu au marché.
 

Perturbateurs endocriniens

C’est désormais le risque « perturbateur endocrinien » que les acheteurs publics locaux tentent, aussi, d'anticiper. Certes, la France s'enorgueille d'être le premier pays à s'être doté d'une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE), dès avril 2014. L'élaboration d'une deuxième stratégie, pour la période 2019-2022, a d'ores et déjà fait l'objet d'une consultation publique. Ce deuxième volet de la SNPE, outre les très classiques mesures d’information, de sensibilisation ou encore de recensement des "bonnes pratiques", devrait pousser à "accompagner les collectivités locales pour faciliter la rédaction des cahiers des charges et la prise en compte de l’exposition aux perturbateurs endocriniens dans la commande publique".
 

Du critère à l'objet

Là encore, certaines collectivités n’ont attendu ni encouragement, ni définion d'un plan «stratégique» à échelle nationale. A Thionville (lire Restauration scolaire et contenants en plastique : Thionville anticipe 2025), à l’occasion du renouvellement du marché de restauration scolaire, le cahier des charges prévoit que le conditionnement devra exclure toutes les matières plastiques. A Bordeaux, la réduction de l’impact des produits d’hygiène et d’entretien sur l’environnement et la santé n’est plus un critère : c’est devenu l’objet même du marché (lire notre reportage "Bordeaux part en croisade contre les perturbateurs endocriniens").
Là encore, il y a une prise de risque « locale » : il n’existe pas de liste des perturbateurs (attendue pour ...2022 !). Pas plus que de connaissance des "effets cocktails" entre les produits. Et la profusion des labels, si nécessaires soient-ils, n'est pas pour leur faciliter la tâche de l'acheteur (relire notre article : Est-il pertinent de "se faire label"?). 
La définition d'une vision globale de l’achat responsable ("stratégique") sera peut être nationale ; mais la prise de risque, et donc le courage, est lui certainement local.
 
Jean-Marc Joannès