Commande publique : "accélérer l'accélération"

  • 13/05/2021
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« Messieurs, après la faculté de penser, celle de communiquer ses pensées à ses semblables est l'attribut le plus frappant qui distingue l'homme de la brute »
Robespierre



Il en est donc de la commande publique comme de la vaccination : le Gouvernement ne cesse de répéter qu’il faut accélérer l’accélération. Lundi 10 mai, la ministre Agnès Pannier-Runacher, flanquée de la Directrice des affaires juridiques de Bercy, Laure Bédier, et de Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises, présentent "l’édition spéciale" du Guide des marchés publics, "Spécial Relance" (lire "Rebondir avec les marchés publics » : une "édition spéciale" du guide des marchés publics de la DAJ").
 

« Ludique et synthétique »

Sur le fond, le guide est assurément pratique : à grand renfort de tableaux, de dessins et autres schémas (une conception « ludique et synthétique »), il présente les dispositions adoptées à l’occasion de la loi ASAP et des mesures mises en place par le gouvernement pour faciliter la commande publique, dans le contexte de la crise économique et sanitaire de la Covid-19, ainsi que les mesures spécifiquement destinées à soutenir les TPE et PME. Sur le papier, le message est assez simple : "jouer la carte de la commande publique, c’est favoriser la relance de l’économie. Nous avons tout fait, pour, d’une part inciter les entreprises à candidater en leur assurant, par les délais de paiement, acomptes et autres mesures des conditions favorables ; du coté acheteur, on a allégé leur travail en fluidifiant les procédures".
 

Objectifs tous azimuts

La relance de l’économie par la commande publique est le crédo du Gouvernement, et ce bien avant la crise issue de la pandémie. Ce qui gêne, c’est qu’ainsi, la commande publique change de statut, pour passer du statut de "moyen" à celui d’ "objectif". C’est même parfaitement assumé : au cours de la conférence de presse du 10 mai, Agnès Pannier-Runacher explique qu’acheteurs et entreprises doivent se saisir des outils commande publique : « Les 100 Mds d’euros prévus par le plan de relance, c’est maintenant qu’il faut les investir ! ». Ce qui n’empêche pas la ministre d’afficher les objectifs "secondaires" : « la commande publique, ce levier économique mais aussi de transition environnementale et sociale (sic)».
 

Langage commun

Pas si simple en réalité. Car ce nouveau guide s’adresse concomitamment aux deux versants de la commande publique : les acheteurs et les prestataires. Faut-il le rappeler : ils n’ont ni les mêmes objectifs, ni les mêmes contraintes. Un exercice d’équilibrisme. Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises, a bien saisi cette réalité, en attribuant une autre valeur au guide : « Cette "édition spéciale", va plus loin que la précédente édition. Plus qu’un guide de traduction, c’est un guide de langage commun ».
 

Eléments de langage

Il faut jouer en effet tout en finesse pour rapprocher les deux univers et ne pas jouer la carte « acheteurs qui se surprotègent contre entreprises vivant au crochet des deniers publics ». En déclarant « J’ai trop entendu les acheteurs se plaindre de la complexité du droit de la commande publique. Ce n’est plus la réalité aujourd’hui », Agnès Pannier-Runnacher a pris le risque de froisser les acheteurs publics. Sur les réseaux sociaux, et souvent à grand renfort d'émoticons, certains ont immédiatement réagi : « J'imagine que Madame la Ministre a souvent l'occasion de mettre en pratique le droit de la commande publique... » ; « "Plus la réalité ?"... Euh quand même encore un peu » ; « La bonne blague ! » ; « il faut que je regarde car la commande publique reste un casse-tête défavorable pour nos marchés en collectivités.... Mise à jour nécessaire ! »
 

Entreprises : le risque de la déception

A marteler que désormais tout est plus simple, plus fluide et plus efficace au service des entreprises, le risque est que chacun, entreprises et acheteurs, fassent part de leur déconvenue (relire "Retour du terrain = retour de manivelle ?"). En septembre dernier, à l’occasion des "Universités d'été de l'économie de demain" (UEED), nous avions noté une forte attente des entreprises au regard des annonces gouvernementales (relire allant jusqu’au "Commande publique : de l’urgence aux tensions") et… une montée de ton assez surprenante : « Madame la ministre, faites votre boulot ! Le "Made in France" n’est pas un gros mot, Madame la Ministre ; avec vos conseillers juridiques "Bac+30", vous pouvez faire jouer la réciprocité, non ? » (relire "Renforcement RSE : des objectifs communs… mais des échanges vifs").
 

Acheteurs : le risque de la contre-analyse

Du coté des acheteurs publics, on est plus sur la réserve, même si les multiples objectifs qui leur sont assignés (relire "Juridique, économique… et bientôt « bienveillante », voici la nouvelle commande publique") peuvent inquiéter. De même que le manque de stabilité du droit de la commande publique qu’ Agnès Pannier-Runacher reconnaît le 10 mai : si les mesures commande publique de relance sont mal connues, c’est du fait de « la rapidité avec laquelle nous avons changé le droit ».
Du reste, chaque nouvelle réglementation est aussitôt disséquée. Les CCAG 2021 n’y échappent pas. Jérôme Michon alerte cette semaine sur les pièges qu’ils peuvent contenir (lire "CCAG : « le terme "simplification" n'est pas adapté» "). Il relève certes des imprécisions, mais surtout des subtilités que les rédacteurs de marchés publics doivent rapidement s’approprier : « Il faut bien lire et mesurer les conséquences pratiques de chaque clause des nouveaux CCAG : beaucoup de pièges existent ».

 
Jean-Marc Joannès