La commande publique, ou l’art du contournement « bien tempéré »

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"And don't you know that it's just you, hey Jude, you'll do,
The movement you need is on your shoulder
"
The Beatles – Hey Jude



C’est curieux, ce paradoxe : d’un côté, le droit de la commande s’affiche comme un véritable corpus, solide car évolutif. A ce titre, il rassure par une souplesse bien encadrée ; de l’autre, il semble que le grand jeu soit de le pousser à ses limites, de « tordre » le cadre, et à tout faire pour l’adapter à ses besoins.
Tordre le droit de la commande publique, jusqu’à le faire disparaître ? Pour certains, il y aurait là une véritable logique disruptive, si derrière, il s’agit bien de reconstruire un dispositif libéré « d’un labyrinthe de procédures aussi absurdes que contreproductives. » (lire "Supprimer le Code ? Sortir du droit communautaire ? Alain Lambert dégaine sa plume… acérée" - relire aussi "Des mesures concrètes pour une rupture totale avec les dogmes de la commande publique").
 

De Corneille à Kafka

Pour d’autres, la position est cornélienne, voire kafkaïenne. C’est le cas du Gouvernement (en réalité, de tous les gouvernements !). Il ne peut remettre en cause l’édifice juridique que constitue le Code de la commande publique. Il ne peut se dédire d’un droit d’essence européenne, quand bien même sont en jeu des questions de souveraineté nationale (relire par exemple "Préférence nationale : dura lex, sed lex… même pour les gendarmes !" et "Restauration collective : l’achat local à la rescousse du durable. « Oui… mais il y a le code »"

Sans qu'il ne puisse l'admettre, le Gouvernement ne serait pas contre un renforcement de l’achat local, voir du gré-à-gré plus étendu, et toujours plus de souplesse. Les relèvements de seuils, d'abord, en attestent. Et puis, il y a quand même un début de piste : la préférence locale, le code l’autorise.. .si "le local" se mesure à l’échelle européenne (lire "Clause de préférence européenne : un mode d’emploi à usage des entités adjudicatrices" - "Achat local en circuit court : pas encore d'outils dédiés, mais l’intention est là ! " et relire "La préférence européenne : ce que permet le code de la commande publique").
Et pourtant,attention : certains, à contre-courant, considèrent que si la commande publique n'est pas un levier adapté à la relocation (lire "La capacité à stimuler la relocalisation d’activités économiques via la commande publique est réduite").
 

Inventaire savoureux

Ce serait un exercice savoureux que de recenser et classer toutes les réponses ministérielles "embarrassées" tentant de répondre aux demandes parlementaires sur le sujet. Des questions posées toujours avec une logique assez imparable : "Vous voulez la relance de l’économie ? La commande publique est un levier ? Alors, qu’attendez-vous ? (lire "Critères géographiques et empreinte environnementale" - "Segmentation des familles d’achats homogènes de denrées alimentaires : vers une démultiplication de l’existant ?" - relire aussi : "Les maires plaident pour le critère géographique...même "temporairement" et "Une proposition de loi sénatoriale pour « relocaliser » la commande publique »").

On pourrait, un brin taquin, créer une rubrique, au sein de notre "tout beau tout nouveau site achatpublic.info", une rubrique "Achat local : les trucs et astuces du Gouvernement" (relire "Achat local : mise à jour des préconisations du Gouvernement", "Préférence locale » : les trucs et astuces du gouvernement" et "Acheter local : ce n’est pas légal mais…")
 

Réponse locale et rationnelle

C’est au sein des services achats que l’équilibre entre la demande « politique » et la sécurité juridique se trouvera. D’abord, parce ce que les services achats manient par principe "la débrouillardise" (relire "Une journée avec… Christophe Foucher : "Santé oblige"" et relire "D'Est en Ouest, les acheteurs publics tiennent la barre [Cash Interview]"). Les solutions viendront d'un judicieux montage alliant respect des principes fondamentaux de la commande publique et nécessaire relance par l’achat public et poussée verte de la commande publique (consultez notre dossier « Loi "Climat et résilience" : vers le verdissement des achats ! »). Nul doute que les dossiers de canditature de l'édition 2021 des Trophées de la commande publique en fourmilera d'exemples (relire "Appel à candidatures : avec les Trophées de la commande publique, affichez votre commande publique innovante et performante !").

Ce n’est pas réellement nouveau : nous avons tous en tête le fameux exemple de l’insertion dans le cahier des charges d’un marché de denrées alimentaires pour une cantine scolaire d’une clause tendant à l’organisation de visites pédagogiques par le titulaire : avec la limitation des déplacements scolaires, le cercle des prestataires possibles se cantonne dans un rayon tout-à-fait "localisé". Le lobbying est en cours, et parfaitement assumé (relire "Restauration collective : et si on sortait les achats alimentaires bio et durables du code de la commande publique ?" et "Gilles Pérole : l’exception alimentaire en ligne de mire").

Ces poussées pour une relecture locale de la commande publique sont même parfois adoubées par le Conseil d’Etat lui-même (relire par exemple "Un acheteur peut apprécier les retombées d’une offre sur l’emploi local"). Quant à l’Université, elle réfléchit aussi a introduire autrement plus de souplesse dans la commande publique (lire "Il ne devrait pas y avoir d'incompatibilité entre formalisme et discussion dans les relations contractuelles").


Allez, on prend le pari ? Si l’achat local, la préférence nationale ou tout autre « assouplissement » de la commande publique prennent une place assumée officiellement, ce sera plus du fait d’avancées locales « justifiées par le bon sens » que par des grandes annonces politiques …plus hasardeuses
 


Jean-Marc-Joannès

*Mais ne sais-tu pas que c'est juste toi, Jude, qui le feras ?
Le mouvement dont tu as besoin repose sur ton épaule