Achat public : une bonne dose d’optimisme pour bien repartir

partager :


"Le pessimisme est d'humeur ; l'optimisme de volonté"
Alain

"Vers le burn-out de l’achat public". C’est l’intitulé de la conférence d’ouverture de l’Association pour l’achat dans les services publics (APASP). Une conférence qui ouvre aussi sa session d’étude marquant les 60 de l’association (relire "L'APASP fête ses 60 ans ! «Former et informer : le travail ne s’arrête vraiment jamais…» "). Sans esprit de contrariété envers la vénérable association, on va tenter de la contredire ; tenter, à vrai dire, d’adopter une posture "contra-cyclique".
 

Cible idéale

D’abord, parce que le code de la commande publique est la cible préférée, peut être à égalité avec le code de l’urbanisme, de beaucoup d'élus (on aimerait savoir ce qu'ils pensent du Code général des collectivités territoriales....). Lors du Congrès des maires, le pauvre code s’en en pris à nouveau "plein la tête". D’une « redoutable complexité », « touffu », « rigide », « inadapté » ... (relire notamment " [Congrès et Salon des maires 2022] Projets territoriaux : la commande publique, après la question du financement"). C‘est assez classique ; de même que les annonces de Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, qui indique qu’il entend « bouger les règles» de la commande publique. Comme beaucoup d’autres l’ont annoncé auparavant pour "apaiser" les élus (on aimerait pouvoir lui demander si c’est également à l’agenda de Bruno Le Maire, ministre en charge du "dossier" commande publique...).

Mais il est vrai aussi que pour les élus, c’est moins la complexité du droit de la commande publique qui les taraude que la relance de la dynamique économique de leurs territoires par l’achat local : « Les élus associent l’achat local aux perspectives de création d’emploi et au dynamisme économique: la nature juridique du cocontractant passe au second plan » (relire "Achat local et commande publique : entre préjugés et idées reçues"). Un souci qui peut, dans le contexte de hausse des prix, les amener à pousser les services à jouer à la va-vite des mécanismes de révision des prix, et surtout d'imprévision, sans se préoccuper des conséquences futures que certains prédisent déjà (lire "Hausse des prix dans les contrats publics : «Restez calmes et ne cédez pas aux pressions !»").
 

Ce que disent les chiffres

Ensuite, on pourrait s’appuyer sur les chiffres (avec toutes les réserves que leur analyse soulève). Si l’on s’en tient au Baromètre de l’achat public dressé par Intercommunalité de France, on enregistre « une bonne progression » de l’achat public (lire "Commande publique : l’achat public à la hausse"). Une analyse confirmée par l’Observatoire économique de l’achat public (OECP) (relire "Chiffres 2021 de la commande publique : focus sur les clauses sociales et environnementales et les clauses de révision des prix" et relire "Finances locales: pour la Cour des comptes, 2021, ça passe !").

Pour aller au bout de l’information, et parce qu’effectivement les chiffres disent parfois le contraire de ce que l’on pense, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalités (AMF) ne partage pas cet optimisme. Elle rappelle que les apparences sont trompeuses. Selon l’étude de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL), réalisée à la demande de l’AMF, si en 2022, on pourrait au final observer le maintien, voire la hausse des investissements, c’est d’une part parce qu’ils bénéficient des derniers effets reports de l’année 2020 : les investissements interrompus en 2020 en raison du confinement ont été reportés en 2021 et en 2022. D’autre part, la hausse faciale des montants s’expliquerait par l’inflation. Elle a donné lieu à des renégociations à la hausse des marchés publics pour tenir compte du renchérissement des prix de l’énergie et des matières premières (relire "[Congrès et Salon des maires 2022] Investissements 2022 du bloc local : apparences trompeuses ; réelles inquiétudes"). Et donc, en toute logique, pour 2023, le maintien de l’inflation prévue à des niveaux élevés jusqu’en 2025, sous l’effet de la diffusion progressive des hausses de coûts de production et le durcissement des politiques monétaires, devraient continuer de peser sur les budgets locaux... et donc l’investissement.
 

« Votre code ? Pas si mal ! »

La question revient souvent : les acheteurs publics sont-ils moins performants que les acheteurs du privé. Marc Sauvage, vice-président du CNA a répondu sans embage par la négative à cette question, rappelant les contraintes supplémentaires de l'achat public, tout en soulignant la professionnalisation des acheteurs publics et notant, in fine, des pratiques tendant à se rapprocher, avec un code de la commande publique « plus souple » que les précédents (revoir "achatpublic invite… Marc Sauvage").

Mais surprise : c’est un économiste qui vient à la rescousse du code de la commande publique. Il en cerne les contraintes et les difficultés de maniement (et parfois le mauvais maniement !) voire l’aberration, selon un point de vue économique, d’outils aussi essentiels que les critères d’appréciation des offres. Lors de la conférence inaugurale de la Folle semaine des marchés publics, Pierre Henri Morand est interrogé sur les critères d’appréciation des appels d’offres. Et là, il explique que, de son point de vue d’économiste, les critères d’attribution d’un marché, à eux seuls, ne sont pas une recette efficace pour sélectionner un fournisseur (relire "Un critère d’attribution dans l’absolu, cela ne veut rien dire!").

Dans l’esprit du professeur d’économie à l’université d’Avignon, il n’y a pas de jugement de valeur : « Dans un monde où l’acheteur connaitrait parfaitement ses besoins, son marché et les coûts auxquels les entreprises peuvent opérer, nous n’aurions pas besoin de code. Mais l’acheteur ignore en partie son marché et connait mal la réalité des coûts. Le fait de faire jouer la concurrence dans le cadre formel du code de la commande publique est donc le révélateur qui permet d’obtenir l’information » (lire "Le code de la commande publique, un mal nécessaire ?").
 

Faire avec « ses » outils

Mais pour se prendre une bonne dose d’optimisme, rien de tel que de se plonger dans les pratiques "de terrain" de l’achat public, telles que les révèlent les Trophées de la commande publique. Cette semaine, nous relatons le montage réalisé par Bordeaux Métropole, lauréat d’un Trophée dans la catégorie "Achat exemplaire", pour son projet d’achat de masques chirurgicaux de type IIR biosourcés et biodégradables. "Bricoleur", ou plutôt "ingénieux", ces acheteurs publics ont considéré que le partenariat d’innovation est une procédure chronophage et inadaptée à des projets de faible envergure. En articulant les outils à leur disposition, ils ont alors saisi la procédure du" marché achat innovant " en le couplant avec un volet recherche et développement (relire "[TCP 2022 - Les lauréats] De la R&D dans un « marché achat innovant » : une récompense pour Bordeaux Métropole").

Bricoleurs, les acheteurs publics ; mais aussi capables d’union. La région Bretagne, trois de ses départements et deux grandes agglomérations viennent de publier ensemble leurs intentions d’achats d’ici quatre ans pour certaines. Objectif : donner un nouvel impact à leur commande publique et améliorer encore la réponse de leurs fournisseurs, er remédient ainsi à des « communications éclatées » pour soutenir les filières économiques locales (lire "La Bretagne des collectivités annonce ses achats à l’avance").

Alors, en « Burn-out », les acheteurs publics ? Fatigués et inquiets, peut-être.
Démobilisés ? Certainement pas !