Achat public : petits réglages et coups de massue

partager :

 
"L'analyse est parfois un moyen de se dégoûter en détail de ce qui était supportable dans son ensemble"
Paul Valéry


Bien qu’on les appelle souvent à l’innovation, voire à "l’agilité", les acheteurs publics tiennent surtout à rester dans les clous de la réglementation. Encore faut-il que ces clous soient visibles ou marqués avec suffisamment de clarté. Pour répondre à cette attente légitime, le gouvernement assure, classiquement, une sorte de service après-vente. 

Les réponses ministérielles en sont le parfait vecteur. Depuis quelques semaines fleurissent les réponses aux questions de parlementaires demandant au Gouvernement le manuel de mise en œuvre de l’avis du Conseil d’Etat du 15 septembre 2022 sur la révision des prix dans les contrats publics et également sur la position de la DAJ relative à la mise en œuvre de l’imprévision (lire cette semaine "Hausse des prix dans la restauration scolaire : en complément de mesures financières, s’en tenir au code" et "Hausse des prix dans la restauration scolaire : en complément de mesures financières, s’en tenir au code" et relire "Hausse des prix : ce que peuvent, et doivent, faire les acheteurs publics").

A cela, rien d’anormal, compte tenu du choc que représente et que l’on a longtemps présenté comme la fin du principe d’intangililité du prix dans les contrats publics, mais au regard aussi du risque que pointent certains au sujet d’indemnités versées sur le fondement de l’imprévision, mais qui pourraient, devant le juge, virer à la libéralité (relire "Hausse des prix dans les contrats publics : "Restez calmes et ne cédez pas aux pressions !").

Sur des secteurs sensibles, et notamment la restauration scolaire, ce sont les guides et autres circulaires qui sont désormais régulièrement publiés (relire "Restauration collective et hausse des prix : pourquoi et comment ?"-"Achat de denrées alimentaires et hausse des prix: une nouvelle circulaire" et "Achat d’énergie en temps de crise : le RESAH vous guide").
 

Assouplissements mesurés ?

Là où ça coince, c’est quand un texte sème le trouble, donnant corps à l’adage " Le diable se cache dans les détails". Prenons (au hasard...) le décret du 28 décembre 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique, qui porte diverses mesures d’assouplissement de la réglementation (relire "Assouplissements du code de la commande publique : le décret est publié").

Son article 1er décret autorise les candidats et soumissionnaires à un marché public à transmettre la copie de sauvegarde de leurs documents par voie dématérialisée (CCP, nouvel art. R. 2132-11) et annonce l’arrivée d’un arrété "explicatif". Il n’en faut pas plus pour lever des questionnements. Les mentions "support papier" ou "support physique électronique" n’ont pas été reprises dans le nouvel article. Est-ce la fin annoncée de la copie de sauvegarde sur support physique ? (lire "La copie de sauvegarde sur support "physique" est-elle encore valable ?").

Le même décret (art 3) entend ne pénaliser le maître d'œuvre que de ses propres carences. Intention louable, relève cette semaine Arnaud Latrèche. Mais le Directeur adjoint de la commande publique du département de la Côte d’Or et Vice-Président de l’Association des acheteurs publics, s’interroge : quel est le champ d'application de cette nouvelle mesure au regard de l'ensemble des missions du maître d'œuvre ? « La nouvelle formulation de l'article R. 2432-4 permet-elle au maître d'ouvrage d'appliquer la pénalité prévue si le dépassement du seuil de tolérance sur le coût définitif des travaux est provoqué par des erreurs de conception de l’ouvrage, ou des manquements commis au titre des missions EXE/VISA, OPC ou encore pendant la période de parfait achèvement ? (...) Des précisions de la DAJ de Bercy sur la portée de cette modification de l'article R. 2432-4 du CCP pourraient être opportunes.... » ( lire "Dépassement du coût des travaux : le maître d'œuvre épargné ?").

Autre secteur sensible : la publication des données essentielles. Deux arrêtés du 22 décembre 2022 relatifs à la publication des données essentielles des marchés publics et des contrats de concessions, fixent la liste des formats, normes et nomenclatures dans lesquels les données essentielles des marchés publics devront, à compter du 1er janvier 2024, être publiées ainsi que les modalités de leur publication ou de communication. Mais beaucoup attendent la publication annoncée d’une fiche technique... » explicative »

Enfin on notera l’impressionnant mode d’emploi tout juste publié et destiné à répondre à l'obligation de déclaration des dépenses 2022 relatives aux achats de biens issus du réemploi, de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées (article 58 loi AGEC) (relire "Achats en économie circulaire en 2022 : la déclaration obligatoire est ouverte !")...
 

Coups de massue

D’un coté, des obligations et des procédures à suivre ; de l’autre, des acheteurs publics qui souhaitent être accompagnés dans leur respect.. Cela fait contraste avec l’attitude rude de certains prestataires..
La société Vert Marine s’est particulièrement fait connaître, cet automne, pour avoir mis fin de façon abrupte, et sans concertation, à l‘exécution d’un service public pour cause de hausse des prix de l’énergie (relire "Concession d’exploitation de piscines : Vert Marine a-t-elle gagné son bras de fer ?" et "Fermeture abrupte de piscines : la gestion déléguée boit-elle la tasse ?").
Cette semaine, nous relevons une nouvelle affaire; tout autant surprenante, qui procède d’un véritable chantage à l’emploi (assumé) exercé auprès d’une commune (lire "Cantines scolaires : entrée ou dessert ?").

A n’en pas douter, l’acheteur public, contraint car soucieux, d’une part, de respecter la réglementation et, d’autre part, d’assurer le service public, est certainement désarmé face à la brutalité de certains prestataires...

Il fût un temps où on nous enseignait, avec finesse, entre Hauriou et Duguit, une théorie du droit administratif et de l’Etat soit par l’exercice de la puissance publique, soit par le service public. En ces temps de crises, le modèle explicatif de ces deux écoles est quelque peu bousculé...