Achat public : éloge de la simplicité

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« La simplicité affectée est une imposture délicate »
François De La Rochefoucauld

Faire des annonces, c’est toujours ce qu’il y a de plus simple. "Le bon sujet, sur le bon ton, au bon moment" : c’est la clé de réussite pour une bonne communication.
Quelques jours avant la Journée internationale du droit des femmes, Elisabeth Borne se fend d’une annonce dans le journal "Elle" : « les entreprises qui ne respectent pas l’égalité professionnelle femmes / hommes ne pourront plus participer aux offres de marchés publics » (relire "Egalité Femmes / Hommes : une promesse à point nommé" et "Egaconditionnalité dans la commande publique : ce que dit le Plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027").
 

Egalité Femmes/ Hommes : encore (et toujours) un "objectif"

Beau, et simple, sur le papier ; mais cela restera sans doute plus difficile à mettre en œuvre.

D'abord, s’agissant de principes fondamentaux comme l’égalité Femmes/Hommes, cela risque de frotter sur l’acceptabilité d’un seuil fondé sur la taille des entreprises. Et puis, par les temps qui courent, la création d'un "index", ce n'est pas forcément gage de réussite si des mesures "coercitives" ne suivent pas. D'autant plus que le " Name & shame" ne fait toujours pas ses preuves...

Ensuite, quitte à se lancer dans des déclarations de principe, autant d'abord les inscrire "sur le papier", dans un engagement de politique Achat.
Le Spaser constitue un premier pas, certainement plus efficace à long terme, car misant sur l'acculturation des prestataires (relire "L’égalité homme femme, un nouveau chantier pour la commande publique"). Le nouveau Spaser de la région Île-de-France, par exemple, fait de la promotion de l’égalité Femmes/Hommes un item clairement affiché : il y est proposé que des clauses visant à sensibiliser les titulaires à cette démarche soient introduites dans les marchés de la Région, notamment les délégations de service public, les principaux marchés de services ou de prestations intellectuelles ou encore les marchés de travaux (relire "La Région Île-de-France enrichit son nouveau schéma de promotion des achats responsables d’un volet « éthique »"). 
 

Simple comme un coup de fil ?

La simplicité peut être une réponse à la complexité. Une lapalissade ? Pas forcément. Prenons la question de l’accès à la commande publique, dont la réglementation redoutable freine, à les entendre, les plus petites entreprises. On peut trouver des contre-exemples d’entreprises qui s’appuient justement sur les marchés publics pour assurer leur développement ((relire "Eric Mantion : « Pour les entreprises, les marchés publics sont structurants»").
La simplification (en "choc" comme en "programme"), c’est bien un leitmotiv. Il revient particulièrement en force ces temps-ci, dans le cadre d’une éventuelle modification des directives européennes (relire "Europe : assouplir la commande publique, un objectif partagé" et "L’appel européen des start-up pour réviser et moderniser les règles de la commande publique").

Mais la « solution » pour faciliter l’accès à la commande » publique résiderait-elle aussi du côté des acheteurs publics ? « Souplesse et accompagnement, ce devrait être le leitmotiv de tout acheteur » assure Arnaud Latrèche. L'adjoint au directeur commande publique du département de la Côte-d’Or expliquait récemment dans nos colonnes les consignes du conseil départemental de la Côte d’Or : « N'imposons pas de contraintes aux entreprises là où la réglementation n'en pose pas ! » (relire "Une charte d'accès des PME en Côte-d'Or").

Ça, c’est sur le fond. Sur la forme, certains prennent acte d’un besoin d’accompagnement. Cette semaine, nous interrogeons Nicolas Lallemand sur la mise en place d’une cellule de contact de la commande publique. « Notre enjeu, c'est de convaincre des entreprises de candidater à nos consultations » explique le Directeur de la commande publique unifiée des conseils départementaux des Yvelines et des Hauts-de-Seine. Elle veut accompagner « ces entreprises qui ne déposent pas d’offres car elles ne comprennent pas la réglementation de la commande publique... ou ne savent pas comment aborder les dossiers de consultation... » (lire "[Interview] Vous avez demandé SOS marchés publics... Un opérateur va vous répondre").
Simple, surtout, par la démarche : « répondre de manière simple aux questions générales qu’elles peuvent se poser sur la commande publique et les démarches administratives à effectuer pour répondre à un marché public sous la forme d’une assistance administrative et juridique générale de premier niveau. »
 

L’art de se faire des nœuds

Certes, la commande publique,, c’est pas toujours simple. Prenons par exemple l’exemple du BPU. Maître Nicolas Lafay montre, à travers deux jugements, à quel point il n’est pas évident pour un candidat de compléter un bordereau des prix unitaire (BPU). Il peut avoir des difficultés à inscrire "zéro euro" dans l’une des lignes du document ; ou, à l’inverse, ne pas pouvoir donner de précisions sur l’étendue des missions couvertes par le prix qu’il mentionne (lire "Le BPU : ce casse-tête pour les candidats") : « les candidats doivent remplir le BPU en en disant suffisamment, mais sans trop en dire ce qui rend, sur certains prix, l’exercice délicat ».
Décidément, le BPU, c’est bien un exercice de dosage délicat : « Le chiffrage par le candidat de son offre doit s’arrêter aux attentes de l’acheteur précisées dans le dossier de consultation. Et ne pas anticiper une éventuelle nouvelle prestation…» (lire "Quand l’irrégularité de l’offre tient à l’ambigüité d’un prix du BPU").

A l’inverse, et sans aller jusqu’à vilipender un excès de juridisme, il faut reconnaître que certains acheteurs se compliquent singulièrement la tâche... Cette semaine, nous avons relevé que la Cour administrative d'appel de Paris a dû rappeler que, par application des articles L. 2152-1 et R. 2152-6 du Code de la commande publique, dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres, le pouvoir adjudicateur est tenu d'écarter, sans l'examiner ni la classer, l'offre qui est irrégulière, inappropriée ou inacceptable (lire "Classer les offres inacceptables n’a pas d’impact... ni d’intérêt").

Complexifier pour avoir le sentiment de se couvrir juridiquement, c'est une manière de faire nuisible à la commande publique, pour les acheteurs comme pour les entreprises. Elle amène parfois le Gouvernement à rappeler, comme en retour à la critique de "surrèglementation", que c’est aux acheteurs publics de simplifier l‘achat public (relire "Accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique : entre « réflexe PME » et Imprévision" et lire "Accès à la commande publique des PME : à chacun sa part !") : « les acheteurs eux-mêmes ont un rôle important dans la simplification des modalités d'accès à leurs marchés publics. Et veiller à ne pas fixer des conditions de participation excessives au regard de l'objet du marché et ses conditions d'exécution afin de ne pas pénaliser les petits entreprises. Ils doivent également être attentifs à limiter le volume des renseignements demandés aux candidats à ce qui est strictement nécessaire à l'appréciation de leurs capacités à exécuter le marché public ».

La simplicité, sans verser dans le simplisme, c’est donc l’affaire de tous.