Extension du domaine de l’achat durable

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"Donnez-moi un point fixe et un levier et je soulèverai la Terre"
Archimède




Le Plan national de l’achat durable (PNAD) fête sa première année. Thomas Lesueur, Commissaire général au développement durable au sein de ministère de la Transition écologique, en dresse un premier bilan. Il envisage également les perspectives d'évolution de l'achat durable (lire "[Interview] Thomas Lesueur : «Le premier réflexe dans une démarche d’achat durable est de se poser la question du juste besoin»"). « Le PNAD entend accompagner acheteurs et décideurs pour une meilleure en compte des enjeux de développement durable dans leurs achats » rappelle Thomas Lesueur.
Il se félicite de la sensibilisation et de la forte mobilisation des acheteurs publics : « En fixant ses objectifs, il a permis aux acteurs publics de s’approprier les exigences de la loi "Climat et Résilience" et de les sensibiliser à la nécessité de se préparer dès maintenant, pour être prêts pour le rendez-vous fixé par la loi au plus tard en 2026. » Pour mémoire, ces objectifs sont élevés : 100% des contrats de la commande publique avec au moins une considération environnementale et 30% une considération sociale.
 

Engagements contra-cycliques

Mais vous savez comment fonctionnent les journalistes : ils aiment bien gratter là où cela démange. Sans vouloir absolument chercher si le verre est à demi plein ou à demi vide, ils veulent juste savoir à quel niveau il est rempli....
La hausse des prix commence à se faire sentir sur l’achat public (relire "L’inflation commence à se faire sentir sur la commande publique"). , un phénomène autant anticipé que redouté (relire "[Congrès et Salon des maires 2022] Investissements 2022 du bloc local : apparences trompeuses ; réelles inquiétudes").

Et donc, en période d’attrition, nous avons posé la question à Thomas Lesueur : est-ce que la crise ne nuit pas à l’achat durable ? Formulée autrement : l’achat durable, est-ce encore une priorité de l’acheteur public, confronté à la hausse des prix ?. Réponse assez directe : « Si la hausse des prix rend l’équation plus exigeante, elle rend également incontournable la prise en compte de la durabilité de nos achats. »
Une réponse qui sonne en harmonie avec celle donnée par Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises, interrogé sous le même angle, cette fois à propos de l’achat responsable, dans sa version "soutien aux entreprises" : « La bonne nouvelle 2022, c’est l’essor de l’achat responsable. Les chocs économiques vécus depuis 2020, ont en réalité généré une réelle appétence un engouement pour l’achat responsable » (relire "Médiateur des entreprises : « Halte à la défiance ! Le dialogue reste la seule réponse possible »").
Un engagement que l’on retrouve également s’agissant de l’achat inclusif (lire "Un guide DAE pour des achats responsables et inclusif ").
 

L’adversité, un catalyseur d’énergies

Non seulement la crise ne freine pas l’achat public dans ses dimensions "vertueuses", mais elle les encourage. « Si la hausse des prix rend l’équation plus exigeante, elle rend également incontournable la prise en compte de la durabilité de nos achats » explique encore Thomas Lesueur. « Certains choix stratégiques peuvent présenter un surcoût unitaire » reconnaît le Commissaire général et Délégué interministériel au développement durable. Mais de toute façon, « Avec l’évolution du cadre juridique, la prise en compte des considérations sociales et environnementales ne sera d’ailleurs bientôt plus une option. ».

Pour autant, ce n’est pas la carte du bâton, mais plutôt celle de la carotte qui anime le mouvement "achat durable". « Pour assurer une soutenabilité financière, mais aussi opérationnelle, sur le moyen et long terme, il est nécessaire d’appréhender le coût global de nos achats, incluant leur performance énergétique, leur robustesse, leur réparabilité, la résilience de leurs chaînes d’approvisionnement etc. ». C’est ainsi une approche nouvelle approche de l’achat public qui pointe : la sobriété. L’achat responsable commence par la définition du juste besoin, avec en maxime : "le meilleur achat, c'est peut être celui qu’on ne fait pas" (relire "Achat durable : un contexte complexe et anxiogène ? La sobriété prend tout son sens !").

Ainsi, face à la hausse des prix, ce sont en réalité des principes fondamentaux de la commande publique qui sont convoqués ; ces principes qui s’approchent de la notion nébuleuse de "gestion en bon père de famille" : sourcing, définition du besoin, allotissement, prise en compte du cycle de vie... entre autres.
 

Une responsabilisation... sans limite ?

Reste alors la question du juste équilibre et de la place de la réglementation. Il ne faudrait pas que le mouvement contra-cyclique observé soit à terme déséquilibré par une recherche toujours plus poussée des externalités positives de l’achat public. On sait que la responsabilité sociale » et le volet durable de l’achat relèvent de notions ouvertes : elles s’enrichissent, dans toutes les sens du terme, au fur et à mesure des exigences sociales et sociétales... Mais tout en conservant l’indispensable " lien avec l’objet du marché" ?

Par exemple, le professeur Grégory Kalflèche (revoir "achatpublic invite... Grégory Kalflèche - 22:20) considérait, le 16 février dernier, que l’égalité femmes/homme serait le prochain axe de développement, alors que la France accuse un certain retard en la matière. Une prédiction qui s’est avérée juste, puisque quelques semaines plus tard, la première ministre Elisabeth Borne se fend d’une annonce : les entreprises qui ne respectent pas l’égalité professionnelle femmes / hommes ne pourront plus participer aux offres de marchés publics (relire "Egalité Femmes / Hommes : une promesse à point nommé" et "Egaconditionnalité dans la commande publique : ce que dit le Plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027"). Pour l'instant, l'enjeu en est au stade des interrogations sur la mise en oeuvre "concrète" des obligations actuellement en vigueur à la charge des acheteurs (lire "Egaconditionnalité et exclusion de candidatures : l’AAP écrit à la DAJ").

Une nouvelle avancée qui pourrait alimenter, aussi, la crainte d’une commande publique surchargée. « Le code de la commande publique est-il compatible avec ces objectifs d’efficacité et de bonne gestion des deniers publics ? » . « Quel est le rôle d’une collectivité publique ? Satisfaire les besoins de ses administrés-usagers et gérer les services publics et activités d’intérêt général correspondant à ses compétences et/ou intervenir dans l’économie ? » (relire [Tribunes] "Vive la rentrée commande publique !" et "Des critères RSE ? Quel lien avec l'objet du marché ?").

La question de l’épanouissement de l’achat durable dépend peut-être moins de la volonté de l’acheteur public que de l’outil que l’on met à sa disposition pour parvenir à des objectifs toujours plus nombreux. 
Plus on alourdit le levier, plus on risque de lui faire perdre ses effets vertueux... surtout si l’on manque de point fixe.