Projet de loi Industrialisation verte : l’achat durable... "en marche" ?

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« La séduction est une stratégie qui ne souffre aucune urgence »
N. & A. Lacombe, "Fréhel" Belfond 1990


Alain Lambert, pourfendeur insatiable de la loi bavarde, de la logorrhée administrative, de la transposition de directive excessive et de la codification intempestive devrait finir par être satisfait, si ce n’est rassuré.

Dans une nouvelle tribune (lire "Alain Lambert : «Pour une transformation du droit de la commande publique"), le Président du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) persiste et signe : « les élus de petites collectivités s’arrachent toujours les cheveux pour faire respecter un droit devenu inaccessible pour eux, tatillon et paperassier, qui entraîne des effets tout à fait contraires pour la collectivité. Le coût de l’achat public peut être renchéri jusqu’à environ 25 % par rapport à l’achat privé. Alors qu’il devrait permettre, par le jeu de la concurrence, d’obtenir le meilleur, et au plus juste prix. »

Il met en cause le législateur français, qui n’aurait pas compris, ou feint de ne pas comprendre, l’ordonnancement juridique européen : « il nous faut cesser de vouloir édifier un droit national venant s’ajouter au droit communautaire. Le droit de la commande publique est, à l’image de tant de normes, une sur-transposition du droit européen, et avec, la création de contraintes supplémentaires. Le Code de la commande publique pourrait tout à fait être transformé en guide de bonnes pratiques»
Enfin avec sa plume acérée, il assène un coup à l’ensemble de l’administration : « Veillons à ce que ce droit qui régit l’activité quotidienne de l’achat public ne soit pas exclusivement réservé à un cercle d’experts de plus en plus étroit. »

Prenons alors le pari qu’Alain Lambert devrait voir d’un bon œil l’élaboration du Projet de loi " Industrialisation verte". Un pari pris à l’aulne de l’interview que la rédaction d’achatpublic a pu mener cette semaine auprès du député Bruno Millienne, co-pilote du groupe de travail "Commande publique" sur le projet de loi.
 

achatpublic.info a vu juste

D’abord (et ne boudons pas notre plaisir...), achatpublic.info a vu juste.

Il y a deux semaines exactement, nous écrivions notre étonnement : le volet Commande publique, stricto sensu, de l’avant-projet est très léger (relire "Projet de loi Industrialisation verte : quels impacts sur la commande publique ?" et "Projet de loi "Ré-industrialisation verte" : les modifications du code de la commande publique à prévoir").
Dans son bureau, à l’Assemblée nationale, le député reconnaît (et on peut déceler alors une part de regret...) que tout le dispositif proposé par le groupe de travail qu’il a piloté n’a pas été repris : « à ce stade, le projet de loi ne présente pas toutes les solutions que nous avons envisagées au cours de nos travaux » . Et ajoute en aparté : « l’entonnoir a bien fonctionné ... » L’ « entonnoir », c’est le filtre tenu le Gouvernement qui ramène le projet de loi à ce qu’il estime devoir être, pour être présentable.

Il y a deux semaines, nous nous étonnions aussi de ce que l’achat local, au cœur des premières annonces de Bruno Le Maire, ne figure nulle part. Nous avions alors avancé que le Gouvernement, qui préfère habilement jouer des critères d’achat durable, ne prendrait aucun risque, en dépit d’un contexte plutôt favorable au localisme. Bien vu ! « On écrit la loi dans le cadre européen, dont en effet on essaye en effet d’étirer le cadre au maximum de ce qui est possible...il faut éviter les risques de conflit ».

Il y a deux semaines, nous avons in fine envisagé l’hypothèse d’un calcul politique, pour expliquer le peu d’impacts prévisibles sur le code de la commande publique stricto sensu : en présentant un projet de loi réduit, le Gouvernement pourrait ainsi se refaire une beauté parlementaire en laissant députés et sénateurs adopter le nombre d’amendements nécessaires pour étoffer le texte (relire "Achat local : un projet de loi indigent... ou un fin calcul politique ?").
Au 101 rue de l’Université, le député Millienne, en effet, se réjouit par avance du travail parlementaire à venir : « Ce que je souhaite, c’est que tous les groupes politiques parlementaires s’emparent réellement de ce texte. Par nature, compte tenu de son objet, il ne devrait pas entraîner de "politique politicienne" ! »
 

Faire avancer l’achat durable... en déchargeant les acheteurs publics


En revanche, il y bien a un aspect qui nous avait échappé. Le cœur du projet de loi, en réalité c’est le standard "EEE"» pour « Excellence environnementale européenne ». Il comprend « l’analyse du cycle de vie des produits, le Bilan Gaz à effet de Serre (BGes). (...) Sous ce standard, nous allons regrouper 30 normes, (...) incontestables et indiscutables au niveau national comme au niveau international. Il assurera aux investissements que les entreprises qui répondent à ce standard EEE ne sont pas en réalité dans une démarche de "greenwashing" » nous explique le député. Une simplification à double effet.

D’abord, il répond aux inquiétudes des acheteurs publics : poursuivre les objectifs de la loi Climat et résilience ? Certes, mais comment et avec quels outils ? Ce standard EEE opère subtilement un transfert de charge. L’’idée, c’est que les entreprises justifient, en amont d’une éventuelle demande de l’acheteur de travailler en analyse de coût de cycle de vie : « si le standard est bien défini, on pourra avancer la mise en application des dispositifs prévus par cette loi ».
Et c’est là le second effet : le standard "EEE" permettrait donc une mise en œuvre de la loi « Climat et résilience, » d'autant plus rapide que sa définition et sa mise en place relèvent principalement du domaine réglementaire.
 
Rapidité, souplesse, recours non contraignant, pragmatisme... Sur le papier, si l’on en croit le député Millienne, le projet de loi " Industrialisation verte" a de quoi mettre du baume au cœur d’Alain Lambert !