L’accès à la commande publique, cela devrait se conjuguer au pluriel !

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« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient »
Arthur Rimbaud - Une Saison en enfer


Le projet de loi de simplification de la vie économique est sur les rails. Au Sénat, la commission spéciale chargée d’examiner le projet grogne déjà : « Les conditions d’examen imposées par le Gouvernement, qui donnent moins de quinze jours utiles aux rapporteurs et à la commission pour conduire ses travaux, sont peu compatibles avec l’"enjeu majeur" et le "chantier d’ampleur" identifiés par le Gouvernement. La commission refuse de confondre simplification et précipitation».

Il est encore trop  tôt pour pouvoir ne serait-ce estimer à quel degré il va "simplifier " la commande publique. Le travail parlementaire va faire son œuvre et, alimenté par les lobbyings, gageons que des propositions d’amendements vont fleurir.
Et oui, la commande publique, on le rappelle tellement souvent, cela représente du PIB ! Surtout, c’est la rencontre de nombreux intérêts ! Rehaussement de seuils, procédures dérogatoires, aménagements sectoriels, insertion d’éléments de localisme… tout est possible!

Pourtant, dès à présent, on peut s’interroger sur l’esprit général de la loi : elle est orientée "Entreprises". C’est tellement martelé et ânonné que l’on oublie que cette affirmation n’est pas anodine. « D’ici 2027, la commande publique aura été intégralement repensée pour faciliter la vie des entrepreneurs » affirme ainsi Bruno Le Maire à Bercy le 23 avril dernier (relire "Commande publique : « simplifier des règles qui sont dignes de Balzac »").
 

Un glissement politique

« Jadis si je me souviens bien, la commande publique guidait vers la bonne gestion des deniers publics, où les grands principes de transparence, de le libre concurrence d’égalité de traitement sont respectés » aurait écrit Arthur Rimbaud s’il avait embrassé la carrière d’acheteur public (reconstruction historique hasardeuse, convenons-en ...). Le projet de loi de simplification s’appuie pourtant sur un rapport explicite : "Rendre des heures aux Français – 14 mesures pour simplifier la vie des entreprises" (relire "Simplification : le rapport parlementaire propose « des supports contractuels novateurs »").

Le chemin parcouru par la réglementation de la commande publique, depuis 20 ans, est rectiligne : transparence ; puis dématérialisation ; ensuite "achat responsable" ; et maintenant, simplification au profit des entreprises. Ce glissement aurait-il été préparé en amont par cette phase préparatoire qui consiste à affirmer que la commande publique est un levier à l’appui des politiques sociales, environnementales et sociétales ? Et donc, désormais, à l’appui des entreprises ?
Et ce, jusqu’à affirmer que, sous couvert de simplification, la mise en place d’une plateforme unique, PLACE (que l'on pourrait aussi percevoir comme une recentralisation de l'achat public), est un gage d’efficacité et de fiabilité. Pari risqué…
 

L’attractivité, un enjeu de communication … tout azimut

C’est sans doute Nicolas Cros, Directeur des Achats et de la Commande Publique de Bordeaux Métropole, qui vise juste : « les acheteurs publics ont désormais un rôle fondamental à jouer pour renforcer l’attractivité de la commande publique, vis-à-vis des opérationnels, des élus, des entreprises ; casser l’image d’une commande publique compliquée et contraignante » (revoir "achatpublic invite... Nicolas Cros : « La communication tout azimut, c’est le nouvel enjeu de l’achat public»").

Une communication, voire une évangélisation, à mener d’abord auprès des élus (revoir "achatpublic invite Nadège Havet : « La formation des élus à la commande publique, une nécessité!» "). D’ailleurs, comme achatpublic.info l’a relevé (relire "Faites donc une petite place aux élus dans la commande publique !"), de plus en plus d’élus entendent s’impliquer dans la commande publique, en amont et au-delà de la CAO (relire "[Interview] Christian Brassac : « le Spaser "surplombe" les CAO de part en part !"» et "[Interview] Benoit Mercuzot : « Les élus ne peuvent pas être étrangers au process d’achat public ! »").

Du coté des entreprises, la demande, c’est bien un accès public facile à la commande publique pour les PME, plus d’allotissement, le développement du "Made in France" des efforts sur les délais de paiement... et moins de dématérialisation (relire "Accès à la commande publique : la parole aux entreprises" - "Plus simple ; moins de démat ; plus d’accompagnement : «l’appel des entrepreneurs» " et "Simplification : les 80 propositions de la CPME").
Quitte parfois, à ne pas être tendre envers les acheteurs publics : « L’accès des PME-TPE aux marchés publics n’est pas freiné par le code de la commande publique, mais bien souvent par la rédaction de cahier des charges incompréhensible » , assène dans nos colonnes Jérôme André (relire "[Tribune] Accès des PME à la commande publique : « arrêtons de légiférer et passons à l’exécution» ").
 

Des acheteurs publics en attente... active

« Ah mince... j'ai dû manquer le moment où il a été question de "simplifier la vie" des acheteurs publics ! » réagit le président de l’Associaton des acheteurs publics sur les réseaux sociaux. Que demandent les acheteurs public ? Rien de compliqué, ni nouveau : de la stabilité de la règle, ne pas subir les exigences d’une simplification en mode "E-Forms"ou encore la possibilité de recourir à la négociation de façon plus large. Ou attendent les outils promis pour mettre répondre aux exigences de la loi "Climat et résilience" (relire "Définition et analyse du coût du cycle de vie des biens : une plateforme en 2024").
De fait, rien qui ne constitue un obstacle à l’accessibilité de la commande publique ! Au point que Me Sophie Lapisardi affirme l’existence d’une 4e grand principe de la commande publique : le pragmatisme (relire "[Dessine-moi la commande publique ] Les principes de la commande publique").

Sur le terrain, achatpublic.info recense donc le plus souvent possible les entreprises de simplification lancées par les responsables achats. Elles montrent non seulement qu’ils sont loin d’être insensibles à la vitalité du tissu économique, mais également qu’ils ne manquent pas de solutions (relire par exemple "[Interview] « Vous avez demandé SOS marchés publics... Un opérateur va vous répondre» - "Une charte d'accès des PME en Côte-d'Or : « Souplesse et accompagnement, ce devrait être le leitmotiv de tout acheteur» " et "[Interview] Franck Barrailler : « Nous simplifions et modernisons nos processus d'achat public »"). 

Cette semaine, nous nous rendons dans la communauté de communes du Civraisien en Poitou. La CC dégaine son Pacte d’initiatives civraisiennes de transitions et d’actions pour valoriser une économie rurale, locale et durable (Pictave) qui prévoit formations, aides et partenariats, créant ainsi un cercle vertueux au bénéfice d’un territoire rural, mais dynamique. « Les territoires ruraux doivent se prendre en main », estime Mickaël Meynier, directeur général adjoint du pôle finances et affaires juridiques (Lire "Accès à la commande publique : en Civraisien-en-Poitou, un cercle vertueux bénéficie au développement du territoire").


Et puis, il reste une partie prenante à l’achat public : le citoyen. Pour lui, la commande publique se réduit souvent aux titres de presse tapageurs sur les frasques de certains élus qui ont fait de la déréglementation de l’achat public leur viatique.

Il serait peut-être de rééquilibrer la vision générale de la commande publique : non, ce ne peut être "d’abord et avant tout" un instrument de soutien financier aux entreprises. Un effet recherché, certainement ; un objectif, c'est plus douteux...