Les acheteurs publics dans le marais des assurances

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« Quoi que tu rêves d'entreprendre, commence-le. L'audace a du génie, du pouvoir, de la magie »
Goethe


Décidément, la commande publique et l’assurance semblent difficilement compatibles ! « N’ayons pas peur des mots… C’est le "boxon", le "bazar", la "pagaille" autour du nouveau cadre juridique portant sur les marchés publics de prévoyance et de santé. Rien ne va ! » C’est ainsi que nous ouvrons le premier volet de notre enquête sur les marchés publics d’assurance de prévoyance et de santé (lire "Marchés publics d’assurance de prévoyance et de santé : un cadre juridique qui n’assure pas ! (1/2)").
Une enquête en deux volets (vous découvrirez le second la semaine prochaine), car il faut bien cela pour appréhender les causes et les effets des difficultés qui s’annoncent pour les acheteurs publics des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers, dans les mois à venir.
 

Une obligation... et des exigences élevées

Une réforme de 2021 oblige les employeurs publics, à l’instar du secteur privé, à financer une partie de la protection sociale complémentaire (la fameuse "PSC") en santé de leurs agents pour 2025/2026. « L’arrivée soudaine sur le marché de nombreux employeurs publics, avec des exigences élevées, font craindre une explosion de la demande qui pourrait aboutir à une saturation du secteur ». Avec des assureurs censés couvrir un risque élevé et, comme vous le verrez dans le second volet de notre enquête, un cadre juridique pour la passation des marchés publics de PSC perclus de zones d’ombres, d’interrogations de tous côtés, voire d’analyses contraires... Là aussi, on va de surprise en surprise, aussi bien sur le choix des procédures de passation que sur le régime lui-même. Il y a des failles dans le code de la commande publique !

Un marché compliqué, un cadre juridique confus, voire pas stabilisé… cela ne vous rappelle rien ?
 

Une potion magique ?

Il y a en effet des similitudes avec la crise plus générale des "assurances dommage aux biens" des collectivités territoriales. Dès 2020, bien avant que celle-ci prenne toute son ampleur ses derniers mois, achatpublic.info s’interrogeait : les marchés publics d’assurance sont-ils compatibles avec la mise en concurrence prévue par le droit de la commande publique ? (relire "Marché public et assurance : antinomique ?").
Un premier rapport, sénatorial, du 27 mars dernier (relire "Assureurs et collectivités : une responsabilité partagée dans la crise des marchés publics d’assurance") a dressé un diagnostic de responsabilité partagée : la situation assurantielle dégradée des collectivités territoriales ne résulte pas seulement d’un accroissement des risques climatiques et sociaux ; elle est aussi la conséquence d’une politique commerciale agressive des assureurs et d’une pratique peu efficiente de la commande publique…

Maintenant que le risque d’infructuosité, voire de non-assurance à grande échelle, est apparu dans toute son ampleur, et que l’alerte est donnée, on attend beaucoup de la mission "Chrétien", du nom de l’une des deux « personnalités qualifiées » en charge, en l’occurrence Alain Chrétien, maire de Vesoul, et Jean-Yves Dages, ancien président de Groupama et membre du CESE. Il leur a été donné pour mission de se pencher sur les causes de ces dysfonctionnements et d’esquisser des pistes d’amélioration. Ils ont auditionné une quarantaine d’institutions avec l’aide de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’administration : administrations centrales, assureurs, courtiers, intermédiaires, associations d’élus…
Trouveront-ils une solution miracle, une potion capable de permettre au droit de la commande publique et au droit des assurances de se marier en toute intelligence ? Une sorte de pierre philosophale capable de transformer la boue en or ?

On risque d’être un tantinet déçu.

La rédaction d’achatpublic.info a mis la main le rapport de la mission "assurabilité". A ce qui se murmure, Bercy ne tenait pas à ce que le rapport soit officiellement rendu public si tôt ; mais le ministère de l’Intérieur, si. Une bonne fuite (relire "Marchés d’assurance des collectivités : ce qui se mijote…"), cela arrange tout le monde…

La lecture du rapport (Lire "Le rapport de la mission assurabilité veut « faciliter la contractualisation en matière d’assurance »"), pour ceux qui espéraient une solution miracle, risque d’être source de déception. « Le droit actuel permet déjà d’améliorer les échanges entre assureurs et collectivités locales » et « les difficultés rencontrées ne sont pas tant liées aux textes juridiques eux-mêmes, qu’aux pratiques ». Autrement dit, en forçant le trait, c’est aux acheteurs publics et aux assurances de faire chacun un pas vers l’autre. Les auteurs du rapport souhaitent que leurs réflexions contribuent à renouer le dialogue entre assureurs et collectivités et permettent un retour de l’ensemble des assureurs sur le marché des collectivités locales.
Parfait… merci.
 

Du dialogue à la négociation

En réalité, effectivement, on force le trait, car le rapport met aussi l’accent sur des difficultés des acheteurs publics qui vont au-delà de la question des assurances. Il considère en effet que « le recours à la négociation peut être justifié parce que les besoins des collectivités locales en matière d’assurance ne peuvent être satisfaits sans adapter des solutions immédiatement disponibles ou parce qu’ils ne peuvent être attribués sans négociation préalable du fait de leur complexité ». Et donc, la demande d’extension de la procédure avec négociation refait surface.
Reste à savoir si la complexité de l’articulation entre droit de la commande publique et droit des assurances sera jugée suffisante pour l’envisager…

In fine, le rapport pointe la nécessité d’une mise à jour, « voire de la refonte » du guide pratique pour la passation des marchés publics d’assurance des collectivités locales, élaboré par l’OECP en 2008. Ça tombe vraiment bien, c’est dans ses tablettes ! (relire "OECP : le programme de travail 2024/2025)".