Quelles caractéristiques pour un mémoire en réclamation ?

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Le rapporteur public du Conseil d’Etat a été amené à déterminer les caractéristiques d’un mémoire en réclamation, à l’occasion d’une demande de pourvoi de la société Onyx Auvergne-Rhône-Alpes contestant la définition qu’en a donné la CAA. Selon lui, pour être considéré comme tel, un mémoire en réclamation doit comporter l’énoncé d’un différend et exposer de façon précise et détaillée les chefs de la contestation.

La détermination des  caractéristiques d’un mémoire en réclamation est au cœur d’un litige opposant le CHU de Grenoble à la société Onyx Auvergne-Rhône-Alpes, à propos duquel le conseil d’Etat va devoir se prononcer. L’affaire remonte à 2011. A cette date, le CHU de Grenoble inflige près de 300 000 euros de pénalités d’indisponibilités à l'entreprise, en raison du manque d’étanchéité de certains de ses conteneurs, destinés à collecter des déchets de soins à risques infectieux de l’hôpital. L’établissement de santé refuse alors de s’acquitter de plusieurs factures en mesure de compensation. Par un premier courrier, la société requérante  réagit en expliquant les solutions qu’elle apporte pour remédier aux défaillances constatées et propose au CHU de ne pas lui facturer le coût de location des bacs, en lieu et place de toute pénalité.

Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l’objet de la part du titulaire d’un mémoire de réclamation

Le CHU n’ayant pas accédé à cette proposition, Onyx a demandé le paiement des factures impayées. Le TA de Grenoble lui a donné raison, mais pas la Cour d’appel de Lyon, laquelle a considéré que l'entreprise ne pouvait pas réclamer d’être déchargée des pénalités demandées. Les juges de la cour ont estimé que le prestataire n’avait pas transmis de mémoire en réclamation lui ouvrant ce droit dans le délai imparti, en vertu de l’article 34.1. du CCAG "fournitures courantes et services" applicable au marché en litige : « Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l’objet de la part du titulaire d’un mémoire de réclamation qui doit être communiqué à la personne responsable du marché dans le délai de trente jours compté à partir du jour où le différend est apparu. » C’est à ce point que la question de la portée de ce courrier et de sa qualification de mémoire en réclamation se pose...

Mentionner clairement le différend

Le courrier en question peut-il être considéré comme un mémoire en réclamation ? La réponse est non pour Gilles Pellissier, le rapporteur public. Ce dernier estime que la CAA n’a pas commis d’erreur de droit, ni dénaturé le contenu du courrier litigieux, en jugeant qu’il n’est pas un mémoire en réclamation. Selon la Cour, qui a repris la jurisprudence du conseil d’Etat, un mémoire en réclamation est considéré comme tel « s’il comporte l’énoncé d’un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d’une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d’autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. »

Exposer, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation

 Or, relèvent la Cour, ainsi que Gilles Pellissier, le courrier d’Onyx  « se borne à proposer au maître de l’ouvrage une alternative aux pénalités, sans demander expressément leur abandon. » De fait, après avoir rappelé l’historique de la situation, la réponse du requérant ne fait que mentionner les raisons pour lesquelles il n’a pas pu identifier les difficultés plus tôt, préciser les mesures correctives mises en oeuvre et s’achève par la proposition (puisque les conclusions de l’enquête n’ont pas été rendues) de poursuivre l’activité sur les modes d’exploitation technique actuels en ne facturant pas le coût de location des bacs, en lieu et place de toutes pénalités.

Pas d'erreur de droit de la part de la CAA

Une telle formulation ne relève pas du mémoire en réclamation car il demande le non paiement des pénalités sans pour autant les contester.  Il n’exprime pas en quoi l’application des pénalités est infondée. « L’appréciation d’une déformation grossière du courrier me paraît trop sévère », a ainsi argué Gilles Pellissier. Le CHU a envoyé un deuxième courrier à Onyx. Courrier qui traduirait, selon le requérant, la volonté du CHU de relancer le délai de forclusion du contrat et donc de considérer que son mémoire en réclamation comme recevable.

Pas de déformation grossière du courrier

Pour le requérant en effet, « le seul fait que la personne publique statue sur le bien-fondé d’une réclamation, sans opposer une éventuelle forclusion, constitue une modification du contrat au bénéfice de son cocontractant et une renonciation au bénéfice de la forclusion, indépendamment du sort réservé à la réclamation.» Peine perdue. La Cour a jugé que ce deuxième courrier ne traduit aucune intention claire de la part du CHU de renoncer aux bénéfices d’une situation contractée. Il se borne juste à répondre aux faits du cocontractant. « Nous ne pensons pas que la Cour a dénaturé son contenu en refusant d’y voir une modification des termes du contrat », a commenté Gilles Pellissier. Sans surprise, le rapporteur public suggère le rejet du pourvoi de la société Onyx. Affaire à suivre.