REP ou RPC : contestation d’une décision de résiliation d’un contrat par un tiers

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Dans une récente affaire, un tribunal administratif a requalifié le recours de l’excès de pouvoir d’un tiers à contrat en recours plein contentieux, bien que ce dernier ait demandé l’annulation de la décision, de l’autorité publique contractante, de résilier ladite convention.

Le basculement du contentieux des contrats administratif de l’office du juge de l’excès de pouvoir vers celui de pleine juridiction est toujours d’actualité comme l’illustre le jugement, de décembre dernier, d'un tribunal administratif. Les magistrats ont requalifié la nature du recours que les tiers pouvaient former à l’encontre du refus d’une autorité publique contractante de résilier un contrat administratif, alors que les sages du Palais Royal ne se sont pas (encore) prononcés sur ce cas de figure. Si le Conseil d’Etat viendrait à confirmer le jugement, il y aurait un revirement de jurisprudence, reconnaît Maître Yann Simonnet du cabinet Cheysson Marchadier & Associés.

Une filiale du cocontractant non signataire est un tiers au contrat


En l’espèce, le litige que devait trancher le TA de Versailles concernait une convention de projet urbain partenarial conclu par la commune de Ballainvilliers. Le maire avait mis fin à la relation contractuelle au motif que le titulaire n’avait pas respecté la totalité de ses engagements. La filiale de la société contractante, Le domaine du bois fresnais, a saisi le juge. Les magistrats versaillais ne l’ont pas considérée comme étant partie au contrat puisqu’elle n’avait pas signé ladite convention même si cette dernière se serait substituée au titulaire pendant l’exécution. « Ainsi, ni ces éléments, ni la circonstance que les deux sociétés […] auraient eu le même gérant ne sont de nature à établir que la société Le domaine du bois fresnais, qui dispose d’une personnalité morale distincte de sa société mère […], puisse être regardée comme cocontractante de la commune. Dès lors, cette société doit être regardée, dans le cadre du présent litige, comme tiers par rapport à la convention », a déclaré la juridiction.

Du recours pour excès de pouvoir au recours plein contentieux


Quid du type de recours ? Me Yann Simonnet rappelle la décision d’Assemblée Société T.V.6 référente en la matière : « [les requérants] n'étant pas parties au contrat de concession […], ne me_yann_simonnet.jpgsauraient demander au juge du contrat de statuer sur la résiliation de celui-ci ; qu'en revanche, […] la décision de résilier le contrat, contenue dans le décret attaqué, décision qui est détachable des relations contractuelles, peut être déférée par les tiers au juge de l'excès de pouvoir » (CE, 2 février 1987, n°81131). Les juges du TA ont, pour leur part, qualifié ce recours de plein contentieux. Selon le professionnel du droit, le raisonnement des juges versaillais ne serait cependant pas surprenant. « Si le TA avait suivi la décision de 1987, il se serait inscrit dans une jurisprudence constante. Mais, on aurait pu lui reprocher d’avoir manqué d’audace compte tenu du contexte », a déclaré Me Yann Simonnet. En effet, depuis une dizaine d’année, la haute juridiction a évolué sur cette question du recours déposé par un tiers.

« Si le TA avait suivi la décision de 1987, il se serait inscrit dans une jurisprudence constante. Mais, on aurait pu lui reprocher d’avoir manqué d’audace compte tenu du contexte »

D’abord, le célèbre arrêt Département de Tarn-et-Garonne qui est venu (plus ou moins) aligner le recours des tiers à l’encontre des contrats et de leurs actes détachables préalables sur le régime des recours formés par les candidats évincés (jurisprudence Tropic Travaux) : « tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles » (CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994). Ensuite, le Conseil d’Etat a étendu la portée de la décision de 2014 dans l’hypothèse où le requérant demanderait de mettre fin à l’exécution d’un contrat (CE, Sect., 30 juin 2017, SMPAT, n°398445).

La relation contractuelle ne peut être ordonnée par le tiers


La position des magistrats versaillais soulève néanmoins la problématique suivante : le tiers peut-il dorénavant ordonner la reprise de la relation contractuelle ? D’après le jugement du TA, l’office du juge serait limité au simple aspect indemnitaire, constate Me Yann Simonnet. « Cela n’est pas illogique, admet celui-ci. Si la partie, qui aurait subi la résiliation, ne le demande pas, il paraît légitime qu’un tiers ne peut imposer la poursuite de la relation ».

« Il appartiendra aux tiers préalablement à la saisine du juge administratif, de "lier" le contentieux en présentant une réclamation indemnitaire au pouvoir adjudicateur auteur de la résiliation »

Par conséquent, « il appartiendra aux tiers préalablement à la saisine du juge administratif, de "lier" le contentieux en présentant une réclamation indemnitaire au pouvoir adjudicateur auteur de la résiliation », prévient l'avocat de Cheysson Marchadier, sans oublier que « pour les requêtes adressées à l’encontre de pouvoirs adjudicateurs autres que les collectivités territoriales, les établissements publics locaux ou les établissements publics de santé (par exemple un établissement public national), le ministère d’avocat sera obligatoire ». Dans le présent conflit, les conclusions de la filiale ont été rejetées comme étant irrecevables car elle n'a pas réussi à démontrer qu'elle avait un intérêt à agir.