Existe-t-il un principe de loyauté entre l’acheteur et les candidats ?

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Une ordonnance récente de référé précontractuel a sanctionné la procédure d’un acheteur au titre « d’une irrégularité tenant à un manque de loyauté dans la mise en œuvre de ses obligations de mise en concurrence ». Le pouvoir adjudicateur avait imposé dans son RC aux candidats de remettre un AE complété et signé. Un nouveau principe, calqué sur celui de la loyauté des relations contractuelles, a-t-il émergé au stade de la passation ?

Une communauté de commune normande a vu sa passation annulée en première instance au motif qu’elle avait entaché sa procédure « d’une irrégularité tenant à un manque de loyauté dans la mise en œuvre de ses obligations de mise en concurrence ». Un nouveau principe viendrait-il de voir le jour sous le nom de "loyauté entre l’acheteur et les soumissionnaires" ? En l’espèce, l’établissement public avait imposé aux candidats, dans son règlement de consultation, de remettre dans leurs offres l’acte d’engagement complété et signé. A la suite d’une conversation téléphonique, l’acheteur avait informé la société, auteur du recours, que son pli avait été écarté en raison de l’absence dudit document. D’après l’entreprise, le rejet serait anormal car d’une part l’ordonnance du 23 juillet 2015 et son décret d’application relatif aux marchés publics n’exigent plus cette obligation, et d’autre part, le formulaire ATTRI 1 n’était pas inséré dans le dossier de la consultation. Le tribunal administratif de Caen va aller dans le sens de la requérante. Toutefois, les justifications émises par le juge ont suscité de vives réactions de la part des deux professionnels du droit interrogés et tierces à l’affaire.

Pas de principe de loyauté au stade de la passation


Maître Antoine Woimant de MCL Avocats et Me Nicolas Lafay, du cabinet AD2P, sont catégoriques à ce sujet : le magistrat caennais aurait commis une erreur de droit en invoquant me_nicolas_lafay.jpgun "manque de loyauté" de la part de l’acheteur au stade de la passation. Ce dogme n’est pas opposable dans un contentieux à l’occasion d’un référé précontractuel. Pour Antoine Woimant, le litige aurait pu être appréhendé au regard d'un manque de transparence et/ou de l’absence d’égalité de traitement, si les exigences du règlement étaient effectivement obscurs. En effet, « la transparence oblige l’acheteur à faire un dossier propre, compréhensible, complet », rebondit son confrère. Selon Me Nicolas Lafay, « le juge aurait confondu le principe de loyauté issus des relations contractuelles avec l’obligation de publicité et de mise en concurrence ».

« La transparence oblige l’acheteur à faire un dossier propre, compréhensible, complet »

Quant à l’argumentation de la juridiction, elle serait également contestable. D’abord, le magistrat, en voulant faire allusion aux règles du décret en matière de régularisation d’une proposition irrégulière, s’est fondé sur une disposition relative à la candidature, à savoir l’article 55 portant sur la possibilité pour un pouvoir adjudicateur de demander des pièces manquantes. Or, « il existe bel et bien deux régimes différents », souligne l’associé d’AD2P. « La phase de la candidature et celle de l’offre, poursuit celui-ci, sont chronologiquement distinctes même dans les procédures adaptées ouvertes. Le juge a donc fait une confusion ».

La régularisation d’une offre relève de la volonté de l’acheteur


Ensuite, le raisonnement qui a suivi est pour le moins alambiqué. Le TA a ainsi déclaré : « Il est vrai que ce texte n’impose aucune obligation de faire régulariser une offre incomplète […]. Cependant, me_antoine_woimant_0.jpg[…], il résulte des termes du décret du 25 mars 2016 que la signature d’une offre dès sa présentation par un candidat n’est plus explicitement requise […]. Il en résulte néanmoins, en l’espèce, qu’en éliminant l’offre de la [requérante] après s’être abstenue de l’inviter à régulariser son offre par la production d’un acte d’engagement signé, selon les modalités souhaitées, lesquelles n’étaient pourtant aucunement précisées par le règlement de la consultation et pouvaient prêter à confusion du fait de l’édiction et des modalités d’utilisation du nouveau formulaire « ATTRI 1 » [résultant des instructions du ministère de l’économie], la communauté de communes des Hauts du Perche a entaché la procédure de passation du marché d’une irrégularité ».

La régularisation d'une offre par le pouvoir adjudicateur est facultative. La solution du Conseil d’Etat est logique au vu de la rédaction de l’article 59 IV


Me Nicolas Lafay rappelle les récentes jurisprudences Département des Bouches-du-Rhône (CE, 21 mars 2018, n°415929), dans lesquelles les sages du Palais Royal avaient déclaré noir sur blanc que la régularisation d’une offre par le pouvoir adjudicateur est facultative. La solution du Conseil d’Etat est logique au vu de la rédaction de l’article 59 IV : « L’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières ». L’associé d’AD2P évoque néanmoins ce paradoxe : « depuis des années, on nous dit de simplifier la commande publique alors que le gouvernement a fait de la régularisation d’une erreur, plus ou moins vénielle, une simple faculté ». Au passage, Me Antoine Woimant conseille les acheteurs de ne pas faire de la signature de l’acte d’engagement une obligation pour le candidat, lors de la remise des plis. Comment expliquer cette posture du TA ? Primo, ni la société et ni l’établissement public n'ont été assistés d’un avocat (qui plus est, ce dernier n’a pas déposé de mémoire), souligne Me Nicolas Lafay. Deuzio, il aurait été difficile pour le juge, dans le présent conflit, de sauver le candidat en s’appuyant sur l’un des trois grands principes de la commande publique, conclut Me Antoine Woimant.