Indemnisation du cocontractant en cas de résiliation motivée par une décision de justice ?

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Une personne publique doit-elle indemniser son cocontractant si elle est obligée de mettre fin au contrat de manière anticipé à la suite d’une décision de justice ? Quid, si la résiliation est directement prononcée par le juge du plein contentieux ? Le rapporteur public, Gilles Pellissier, s'est penché sur ces questions, à l'occasion d'un contentieux porté devant le Conseil d'Etat.

Le titulaire d’un contrat de la commande publique doit être indemnisé si le marché est résilié unilatéralement pour un motif d’intérêt général. Ce principe est bien connu du monde de l’achat public. Il est dorénavant inscrit dans les textes, à l’article L.6 du futur du code. Toutefois, la portée de celui-ci s’avère plus confus dans les cas où la fin anticipée du contrat résulte d’une injonction d’une décision de justice. Le rapporteur public, Gilles Pellissier, s’est penché longuement sur ce point, lors de la lecture de ses conclusions, à l’occasion d’un litige portant sur une délibération de la commune de Sainte-Maxime résiliant une concession de plages naturelles. A la suite d’un contentieux opposant la collectivité à un candidat évincé, la cour administrative d’appel (CAA) de Marseille avait précédemment enjoint à la ville de procéder à cette action. Or, le Conseil d’Etat a cassé l’arrêt l’année suivante. Quand la CAA fut de nouveau saisie, elle a refusé d’accorder un dédommagement au cocontractant car la collectivité n’était pas fautive. A noter que le cadre juridique de cette affaire est antérieur à la jurisprudence Tropic Travaux Signalisation (CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545), a souligné le maître des requêtes.

Maintien du droit à indemnisation du cocontractant


Néanmoins, la problématique de compensation des pertes du cocontractant (manque à gagner et frais engager) dans un tel contexte reste toujours d’actualité. Selon le rapporteur public :

« les principes généraux applicables aux contrats administratifs […] ne s'opposent pas à ce que des stipulations contractuelles écartent […] tout droit à indemnisation en cas de résiliation du contrat »

« la décision de justice qui décide, indirectement ou directement, de la résiliation du contrat ne porte que sur cette décision et non sur ses effets […], à charge pour la personne publique d’en supporter les conséquences ». Cette circonstance, poursuit l’orateur, « est donc sans incidence sur la détermination des droits que le cocontractant peut faire valoir en cas de résiliation afin d’obtenir la réparation des préjudices qu’elle lui cause ». Pour mémoire, les personnes publiques ont la faculté d’encadrer ce droit au moment de la rédaction de la convention. Le Conseil d’Etat l’a déjà mentionné noir sur blanc : « les principes généraux applicables aux contrats administratifs […] ne s'opposent pas à ce que des stipulations contractuelles écartent […] tout droit à indemnisation en cas de résiliation du contrat » (CE, 19 décembre 2012, Société AB Trans, n°350341). Toutefois, Gilles Pellissier a rappelé les limites d’une telle disposition : « quel que soit le motif de la résiliation, le titulaire a toujours droit, au moins, à l’indemnisation des dépenses utiles et des investissements non amortis, au titre de l’enrichissement sans cause ».  

Résiliation du contrat par le juge : indemnisation du cocontractant par la personne publique


Depuis les décisions département de Tarn-et-Garonne et SMPAT, l’office du juge du plein contentieux s’est étoffé (CE, Ass. 4 avril 2014, n°358994 / CE, Sect., 30 juin 2017, n°398445). Il a la possibilité, lors d’un recours d’un tiers au contrat, de prononcer la résiliation de l’acte contractuel lorsqu'il constate l’existence d’irrégularités. Là encore, quid de l’indemnisation du titulaire (s’il n’a commis aucune faute) ? Pour le rapporteur public, d’une part cette faculté offerte aux magistrats de mettre un terme à la relation entre les parties ne devrait pas priver le cocontractant  d’un dédommagement. D’autre part, il ne voit pas d’un bon œil de mettre en place des régimes différents selon l’initiateur de la résiliation. Le maître des requêtes a alors avancé cette solution : « circonscrire la portée de la résiliation juridictionnelle, qu'elle soit directe ou indirecte, à la rupture des relations contractuelles, ses conséquences indemnitaires étant toujours à la charge de la personne publique, qui les supportera comme si elle l'avait décidée elle-même ».

Reprise des relations contractuelles possible en cas d’annulation de la décision de justice


Gilles Pellissier s’est également focalisé sur les conséquences de l’annulation d’une décision juridictionnelle dont découlerait l’acte de résiliation de l’acheteur. Il a mis en avant la jurisprudence Ministre du budget c/ Mlle Leroy, à savoir qu' : « un jugement d'annulation n'a pas par elle-même pour effet de faire disparaître la décision de l'administration prise en exécution de ce jugement » (CE, 19 mai 2010, n° 332207). Ce fondement s’appliquerait également en l’espèce. La personne publique aurait le choix, soit de maintenir sa décision de mettre fin à la convention, soit de reprendre la relation contractuelle. Attention, la seconde option n’est plus envisageable, conformément à la décision Béziers II (CE, Sect, 21 mars 2011, n°304806), si « le contrat est arrivé à son terme ou parce que l’intérêt général ou des droits entretemps conférés à des tiers s’y opposent », a précisé le rapporteur public. En conclusion, il invite les sages du Palais Royal à annuler l’arrêt de la CAA et à renvoyer la présente affaire.