Confidentialité d’une offre rompue : la jurisprudence "Transdev" pas toujours applicable

Rompre la confidentialité d’une offre en cours de passation n'oblige pas nécessairement l’acheteur public à mettre terme à la consultation. Le Conseil d’Etat a en effet prévu une porte de sortie. Pour autant, cette voie ne peut toutefois être suivie, selon le stade auquel s’est produit l’incident, comme l’atteste une décision du 23 mai 2025.

Des éléments confidentiels d’une offre révélés à d’autres soumissionnaires d’un marché public en cours de pasation, ce n'est pas si rare. Le Conseil d’Etat a eu l’occasion ces dernières années de préciser la démarche pouvant être suivie par l’acheteur public afin de ne pas paralyser la procédure.
 

Retenir l’offre précédente… si c’est possible


La Haute juridiction admet depuis sa jurisprudence "Transdev", dans un tel scénario, la possibilité de déroger exceptionnellement aux modalités du règlement de la consultation en matière d’attribution, et de pouvoir confier le contrat après analyse, non pas des offres finales, mais des offres intermédiaires reçues après la négociation. Une position qu’elle réaffirme dans sa décision " Société Suez Eau France" (CE, 2 février 2023, req. n°489820 – relire "Confidentialité d’une offre rompue : attribution d’une DSP à partir des offres intermédiaires").

Mais cette voie n’est pas toujours possible, comme l’atteste le présent contentieux en référé précontractuel porté jusque devant le Conseil d’Etat. Le litige se noue lors de la seconde consultation d’un marché de renouvellement du service de télécommunication de loisir au profit du personnel militaire et civil, lancée par l'Economat des armées en avril 2024. La première datant de 2023 a fait l’objet d’une déclaration sans suite, après la diffusion accidentelle de données relatives aux prix pratiqués par le prestataire sortant, à savoir la société requérante.

Comme l’explique le rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions, le pouvoir adjudicateur n’a pu se prévaloir de la solution énoncée ci-dessus car « la diffusion des informations confidentielles était antérieure au dépôt de toute offre ». L’Economat des armées ne pouvait donc se rabattre de fait sur l’offre initiale ou intermédiaire. Il a été contraint de mettre un terme à la procédure.
 

Revoir le besoin exprimé


L’établissement public a alors décidé de prolonger d’une année le marché public en cours, passant d’une durée de cinq à six ans. L’objectif était de revoir la structure du contrat afin que les informations confidentielles divulguées ne soient plus susceptibles de fausser la concurrence.

C’est une réussite d’après le rapporteur public, bien que le nouveau marché réponde globalement au même besoin que le précédent, reconnait-il. Il note cependant de « réelles différences ». Tout d’abord, la prestation diffère. L’Economat des armées demande seulement la fourniture du service Wifi. Et le nouveau marché a été alloti en trois zones géographiques. Ensuite, la structure tarifaire a été revue. Le forfait n’est plus établi par "lit", mais par "site".

Des changements qui peuvent paraître mineurs. Mais au regard de l’objet du marché, ils ne sont pas anodins, considère le rapporteur public. « Certes, il s’agit ainsi toujours d’un prix forfaitaire fondé sur la taille de la  caserne, mais, néanmoins, il nous semble que ces diverses modifications de la structure du  marché ont néanmoins imposé une modification de l’assise des prix proposés dans les offres  soumises par les candidats. Au demeurant il nous semble que l’économat ne pouvait guère  faire davantage pour remédier à la "fuite" de 2023 : il n’est pas réaliste de penser qu’il  pouvait renoncer à la satisfaction de son besoin, et il ne pouvait pas non plus, pensons-nous,  en modifier plus profondément les contours : nous peinons à voir comment la fourniture de Wifi aux personnels et à leur famille pourrait être associé avec un autre service pour faire  l’objet d’un contrat commun aux deux services et nous peinons à voir comment un tel marché  relatif à la fourniture de Wifi pourrait être alloti selon une logique autre que géographique », dit-il.
 

Pas d’influence dans le processus décisionnel


Dans la présente affaire, le point litigieux porte sur la présence dans la passation d’un administrateur de l’établissement public qui était à la fois directeur du projet et salarié de la société attributaire. Cette personne, par ses missions en interne, a assuré le suivi de l’exécution du précédent marché. La société requérante dénonce alors la partialité de l’acheteur public, et reproche l’absence d’exclusion de la société attributaire sur le motif d’une distorsion de la concurrence (CCP, art. L. 2141-8).

Mais, encore faut-il que cette personne ait exercé une influence dans le processus décisionnel, rappelle le Conseil d’Etat. Cette circonstance est en soi insuffisante pour établir une telle corrélation. La Haute juridiction sanctionne ainsi le raisonnement du Tribunal administratif de Montreuil qui avait annulé la consultation sans avoir opéré cette démarche intellectuelle (relire "Salarié de l'attributaire et ancien employé de l'acheteur : pas de distorsion de concurrence selon le Conseil d’Etat").

D’ailleurs, en l’espèce, l’individu n’a pas pesé dans le choix final puisqu’il « a été placé en arrêt maladie continu à partir du 11 mars 2022 et ses fonctions au sein de l’économat ont ensuite pris fin par la rupture conventionnelle de son contrat de travail  avec dispense d’activité à compter du 6 juin 2022, c’est-à-dire deux ans avant le lancement de la procédure de passation en litige », comme le signale le rapporteur public.

Par conséquent, au vu du contexte et des mesures adoptées par l’Economat des armées, le pouvoir adjudicateur n’a pas méconnu le principe d’égalité de traitement, juge le Conseil d’Etat. Il rejette la requête d'annulation de la procédure.