Reconnaissance de la résiliation tacite : attention aux conséquences

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La résiliation d’un contrat par l’acheteur est obligatoirement réalisée à la suite d’une décision expresse. Toutefois, le Conseil d’Etat a acté, dans une décision récente, la position des juridictions du fond qui, au regard du comportement du pouvoir adjudicateur, ont déduit une volonté de la part de celui-ci de mettre fin à la relation contractuelle bien qu’aucun acte n’a été pris dans ce sens.

Résilier un marché public à bons de commande avec un engagement minimum d’un million d’euros en ne donnant plus signe de vie, n’est pas une stratégie très judicieuse. Le Conseil d’Etat a eu l’occasion, lors d’un pourvoi du département de la Seine-Saint-Denis, de revenir sur cette notion de résiliation tacite. La collectivité avait conclu en septembre 2011 un contrat d’une durée de quatre ans pour la maintenance des installations de chauffage, de climatisation et d’eau chaude sanitaire dans les bâtiments sociaux et autres propriétés départementales. Le cocontractant, au cours de l’exécution, avait fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Toutefois, la société avait été cédée à une autre entreprise, en vertu d’un jugement du tribunal de commerce du 4 mars 2013. Cette dernière, devenant le nouveau titulaire du marché, avait envoyé une facture au département à propos des prestations exécutées du 1er janvier au 31 mars 2013. Le pouvoir adjudicateur a alors expédié un courrier pour d’une part refuser le paiement pour absence de service fait et, d’autre part, informer que la convention avait été résiliée de plein droit. Au mois de mai, la collectivité avait envoyé une seconde lettre pour se rétracter concernant sa décision de mettre fin à cette union. En revanche, elle n’aurait pas répondu à une autre demande de l’entreprise à savoir, signer un avenant de transfert dudit marché. D’après le prestataire, la collectivité aurait pris une décision implicite de refuser de reprendre leurs relations contractuelles. Un contentieux a éclaté. 

Preuve d’une résiliation tacite : conclure un autre contrat ayant le même objet

    
Dans la présente affaire, le Conseil d’Etat a dégagé la règle suivante : « La résiliation d’un contrat administratif résulte, en principe, d’une décision expresse de la personne publique cocontractante. Cependant, en l’absence de décision formelle […], un contrat doit être regardé comme tacitement résilié lorsque, par son comportement, la personne publique doit être regardée comme ayant mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles. Les juges du fond apprécient souverainement, sous le seul contrôle d’une erreur de droit et d’une dénaturation des pièces du dossier par le juge de cassation, l’existence d’une résiliation tacite du contrat au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce ». Selon la cour administrative d’appel (CAA) de Versailles, les actions ou les omissions du département auraient démontré une volonté de la part de l'acheteur d’interrompre la poursuite de l’exécution. Primo, la collectivité n’avait plus effectué de nouvelles commandes au titre de l’année 2013 alors que l’engagement minimum n’avait pas été atteint. Deuzio, elle avait conclu en parallèle, en juillet 2013, un autre marché dont l’objet était identique. L'interprétation de la cour n’a pas été remise en cause par la haute juridiction.

Manque à gagner = montant minimum du marché x le taux de marge


Quid de l’indemnisation au titre du manque à gagner ? Pour l’évaluer, il est nécessaire de se référer au montant minimum, dans le cadre d’un accord-cadre à bons de commande avec un engagement, auquel doit être appliqué le taux de marge nette (susceptible d’être) réalisé par le cocontractant, a rappelé le Conseil d’Etat. S’agissant de la base de calcul, la CAA a déduit, lors de l'opération, les sommes précédemment versées par l’acheteur au titulaire en liquidation judiciaire. L’entreprise aurait été privée au final de 713 248 euros. Concernant le taux de marge du prestataire, pour mémoire, il est fixé « non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré les prestations du marché qu’elle n’a pas exécutées » (lire l’article en bas de page). La société requérante a su convaincre les juges du second degré que son taux était de 23% en moyenne. Elle avait fait valoir que « sur quatre marchés publics comparables, son taux de marge nette varié de 14% à 38% ». La société a ainsi bénéficié d’une indemnité s’élevant à 137 163 euros. Le département a tenté de semer le doute sur le pourcentage à retenir, mais en vain, en mettant en avant (seulement) l’absence de certification des pièces produites par un expert-comptable. 

Disparition de l’objet du litige si le terme du contrat est atteint


Toutefois, les sages du Palais Royal ont relevé une fausse note sur le plan procédural dans l’arrêt de la CAA. « Lorsque un tribunal administratif […] a ordonné la reprise des relations contractuelles mais que son jugement n’a pas été exécuté et que le terme du contrat est atteint avant la saisine du juge d’appel ou pendant l’instance d’appel [comme en l’espèce], la cour doit également constater qu’il n’est plus susceptible d’être exécuté et que le litige n’a pas ou plus d’objet. En revanche, si le jugement ordonnant la reprise des relations contractuelles a été exécuté, le juge d’appel doit statuer sur la requête en appréciant le bien-fondé de la reprise des relations contractuelles ordonnée par le tribunal jusqu’au terme du contrat », ont déclaré les conseillers d’Etat. La collectivité avait contesté cette injonction sans pour autant la suivre. Or, les magistrats versaillais, bien que le marché ce soit terminé durant l’instruction, ont statué ; le verdict a été rendu en 2017 soit plusieurs mois après l'expiration de l'acte. Par conséquent, la cour « a commis une erreur de droit en rejetant comme non fondées, et non comme dépourvues d’objet, les conclusions d’appel d’incident du département ».