L’acheteur public 003 en mission

partager :

« Il y a une différence majeure entre James Bond et moi : il est capable de régler les problèmes ! »
Sean Connery


« Tire et oublie ! » Non, ce n’est pas le titre du nouveau James Bond 007. Mais ce pourrait décrire la ligne de conduite de notre législateur, de plus en plus prompt à assigner aux acheteurs publics le respect des grands principes sociaux et environnementaux : redresser l’économie, sauver la vie en société et préserver l’environnement. "Simplement" en actionnant le levier commande publique. Un législateur plus prompt à fixer des objectifs qu’à en prévoir les modalités de mise en œuvre ! Comme un "MI6" qui enverrait ses agents sur le terrain sans les équiper du moindre petit gadget pour les aider à se sortir des situations les plus périlleuses.
D'accord, le parallèle est un peu grossier. Mais quand même… il comporte une part de réalité.
 

Bons baisers de Bercy

Convenons-en, Bercy n’est pas le MI6. Et donc, on ne lui en veut pas trop quand la DAJ annonce un guide d’accompagnement des nouveaux CCAG, ceux qui sont entrés en vigueur le 1er octobre, « d’ ici la fin du mois ». C'est même assez malin : le guide sera à jour des dernières mesures correctives (lire "CCAG 2021 : précisions et corrections").
Cela devient en revanche beaucoup plus embêtant, lorsque le Gouvernement, sous la poussée de la Convention citoyenne pour le climat, envoie sur le terrain l’agent "acheteur public 003" sur des objectifs … larges ou diffus (relire "Une clause environnementale obligatoire ? C’est risqué, de vouloir inscrire une pétition de principe dans le code !"
Petite précision : l’acheteur 002, c’était l’acheteur dématérialisé ; le 001, c’était l'acheteur uniquement dédié à la conformité juridique des procédures de passation juridique.
Donc, l’objectif, pour l’acheteur 003, c’est d’ici 2025, d’insérer obligatoirement un critère environnemental pour départager les offres.
 

Souplesse et savoir-faire : dangereusement vôtre

Dans nos colonnes Olivia Grégoire l’assure « Le législateur a choisi de ne pas énumérer les conditions environnementales possibles, afin de laisser de la souplesse aux acheteurs et autorités concédantes » (relire " [Interview] Olivia Grégoire : " L'ambition est forte, mais les acheteurs publics sont prêts").
L’outil, pour un achat public durable (l'"Aston Martin de la commande publique responsable"!), c’est la prise en compte dans l’achat du coût du cycle de vie. Pourtant, la loi "Climat et résilience" prévoit une entrée en vigueur des dispositions de son article 15 au plus tard dans cinq ans. La secrétaire d’État chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable s’en explique : « Le 1er janvier 2025 est une date maximale raisonnable pour permettre une mise en œuvre cohérente avec les besoins et savoir-faire des acheteurs ».

Et pourtant, lors des débats parlementaires sur le projet de loi, le Sénat, sous l’impulsion de France Urbaine, avait adopté un amendement faisant obligation à l’État de produire avant le 1er janvier 2022 des outils opérationnels de définition et d’analyse du coût du cycle de vie des biens pour chaque segment d’achat (relire "Projet de loi Climat et Résilience : les amendements portés par France Urbaine adoptés par le Sénat"). Au final, les outils sont attendus pour 2025... « au plus tard ».

Qu’à cela ne tienne ! Proactif, toujours en mouvement, l’acheteur public 003 va chercher les outils qui lui manquent. Des clauses environnementales à insérer dans les marchés ? Il se faufile dans la plateforme "clauses vertes" (sous l’œil intéressé du Gouvernement), développée par l’association des Hauts-de-France CD2E. Elle met à sa libre disposition des clauses "développement durable" ( relire "Des clauses vertes ? : Faites donc votre marché" et "Bientôt des clauses vertes mises gratuitement à disposition des acheteurs publics").
 

Spaser sous le seuil

Cette semaine, nous relatons aussi ces collectivités qui se dotent d’elles-mêmes d’un Spaser (lire "Challenger ses achats avec le Spaser"), alors qu’elles n’en ont pas, légalement, l’obligation, le montant annuel de leurs achats n’excédant pas le seuil des 100 M€. Ces collectivités sautent donc le pas, alors que le Gouvernement, lui, hésite encore (relire "Baisser le seuil des Spaser : « c’est prévu. Mais on doit encore y réfléchir" et "Faut-il étendre l’obligation d’établir un SPASER ? On verra avec le PNADD!").
 

Un modèle républicain, rien que pour vos yeux

Prenons un 3e exemple, avec la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : dès son article 1er, elle prévoit que l'acheteur public devra être en mesure de contrôler que les salariés des prestataires intervenant dans le cadre de l'exécution du contrat (marché ou concession) respectent les principes de laïcité (relire "L'acheteur public, garant du respect des principes de la République par ses prestataires" et "Respect des principes de la République : quelles conséquences pour les acheteurs publics ?"). Pour la mise en œuvre… on attend une circulaire « imminente » du premier ministre, pour «accompagner les autorités contractantes» dans l’application des mesures.

Oui, mais l’Acheteur public 3.0 n’a pas le temps… ou préfère anticiper. L’Association des acheteurs publics (AAP) vient à la rescousse (lire "L’AAP veut faciliter la mise en œuvre de la loi confortant le respect des principes de la République"). Il met à disposition un modèle de clause contractuelle, ouvert à tous, rappelant aux prestataires leurs nouvelles obligations issues de la loi du 24 août 2021. « La loi étant récente et d’application immédiate, nous avons souhaité mettre à disposition des pouvoirs adjudicateurs un outil pour donner une dimension opérationnelle à cette mesure législative. Et leur permettre de se conformer à ces obligations » explique Arnaud Latrèche.

Faut-il le préciser ? : le vice-président de l’AAP est aussi un "003" . Il sait qu’un bon contrat ne se fait pas en empilant des clauses types ; qu'il doit toujours s'adapter aux circonstances : « ce modèle de clause n’a pas vocation à être exemplaire. Elle peut être modifiée et enrichie par les services selon l’objet de leur contrat ».
"Au service de Sa Majesté", cela ne l'empêche pas de renvoyer la balle à Bercy « Quoi qu’il en soit, nous souhaiterions qu’une clause autour de ces principes républicains soit intégrée dans les CCAG. »

 
Jean-Marc Joannès