L’art d’apprivoiser l’achat innovant

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Cinq ans après sa création, l’achat innovant reste un cadeau empoisonné pour les acheteurs publics… Expérimenté entre 2018 et 2021, ce dispositif a été pérennisé fin 2021. Ne représentant que 10 % de l’achat public, il peine à se faire une place tant il est difficile à qualifier. A Bordeaux Métropole, le service achat s’appuie sur le faisceau d’indices du guide de l’achat public innovant, une méthode qui fait ses preuves puisqu’en 5 ans, 34 marchés innovants ont été attribués...

Le dispositif « achat innovant », codifié à l’article R. 2122-9-1 du code de la commande publique, permet de passer un marché public sans publicité ni mise en concurrence préalables portant sur des travaux, fournitures ou services innovants, répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 euros HT.
« C’est un texte juridique long, pas très limpide, avec du conditionnel partout et donc sujet à interprétation… », reconnaît Nicolas Cros, directeur des achats et de la commande publique à Bordeaux Métropole et ville de Bordeaux ; et aucune jurisprudence n’est venue le clarifier. En somme, tout ce qu’aiment les acheteurs qui craignent d’outrepasser les règles juridiques...

A défaut de s’accorder sur une définition précise, un outil d’aide à la décision a été intégré au guide de l’achat public innovant. Il s’agit d’un faisceau d’indices avec une série de questions à se poser : est-ce une innovation de rupture ? L’entreprise a-t-elle obtenu des brevets, prix… ? Est-ce une solution répandue ? Est-ce que cela améliore le processus organisationnel, les délais ?... « Il s’agit de qualifier l’innovation », précise Nicolas Cros. 
 

L’innovation n’est pas toujours là où on l’imagine


« Très souvent, dans l’inconscient collectif, l’innovation est directement liée aux nouvelles technologies (NDLR: en effet, selon l’Observatoire économique de la commande publique (OECP), les marchés du numérique représentent à eux seuls plus de 25 % des procédures expérimentales "innovation"), mais avec ce faisceau, on voit que nous pouvons avoir une qualification large de l’innovation sans qu’il y ait un lien avec les nouvelles technologies. »

L’innovation sociale en fait notamment partie. C’est d’ailleurs sous cet angle que Bordeaux Métropole a passé un marché de 75 000 € pour le relevé sur des bâtiments par drones avec Hinov, une entreprise qui recrute des militaires réformés, souffrant de stress post-traumatique.
Autre exemple bordelais : la création d’un service de broyage de déchets végétaux à destination des particuliers. Le broyage et la réutilisation des copeaux produits se fait sur place. Un marché confié à une entreprise d’insertion. « Il n’y a ici rien de sensationnel, mais c’est une innovation environnementale, car en circuit fermé. Et c’est une nouveauté. Nous pouvons trouver de l’innovation de manière assez simple », estime Nicolas Cros. Depuis, il est devenu un marché réservé de près de 500 000 € par an pour 4 ans.

« Ce dispositif donne un droit d’essai avec une marge de manœuvre qui peut aller jusqu’à 100 000 € HT, cela permet de faire des expérimentations. » C’est également un « outil de développement économique qui facilite l’accès des TPE/PME aux marchés car ce sont elles qui font le plus d’innovation. Ce dispositif permet d’avoir un premier accès à la commande publique qui peut aller jusqu’à 100 000 € sans avoir à remplir un mémoire. Ça peut être intéressant pour elles. »
 

Prise de risque juridique


Si ce guide a le mérite d’ouvrir le scope de la qualification de l’innovation, le dispositif n’infuse pas pour autant. En 2020, une étude sur les pratiques des acheteurs en matière d'accès des TPE/PME à la commande publique, d'achats innovants et d'achats durables de l’Observatoire économique de la commande publique (OECP) le confirme : si 72 % des acheteurs publics déclarent connaître ce dispositif, seuls 26 % d'entre eux disent avoir l'intention d'y recourir.

« Par crainte juridique », estime Nicolas Cros. La métropole garde tout de même toutes les traces de ces échanges, liées à ce type d’achat. « Cela permet de montrer que nous avons été prudents et que nous nous sommes posés les bonnes questions. Il y a certes une prise de risque juridique à faire, mais en 34 achats innovants, nous n’avons jamais été déçus. »

La métropole garde t toutes les traces de ces échanges, liées à ce type d’achat : "Cela permet de montrer que nous avons été prudents et que nous nous sommes posés les bonnes questions"

Des achats qui, pour la majorité, ont d’ailleurs toujours flirté avec les 100 000 € HT. La métropole a remporté en 2022 les trophées de la commande publique avec l’achat de masques chirurgicaux biosourcés biodégradables, créés par une entreprise lot-et-garonnaise (relire : De la R&D dans un « marché achat innovant » : une récompense pour Bordeaux Métropole).
« Il est intéressant de noter que les lauréats primés pour un achat exemplaire – l’autre étant le ministère des Armées -, l’ont tous les deux été dans le cadre d’un achat innovant », relève Nicolas Cros (relire : « Un marché achat innovant » pour expérimenter une nouvelle borne de recharge de véhicules électriques). 

Concernant la hausse du seuil à 300 000 € pour « faciliter le développement de nouvelles activités industrielles dans notre pays », selon l’amendement en cours (relire : La commande publique « en plan » ?), le directeur des achats bordelais reste sceptique… Il prône plutôt la vulgarisation du dispositif actuel.

Des exemples concrets vont d’ailleurs être intégrés dans la nouvelle version du guide de l’achat durable, en cours de rédaction, afin d’aider les acheteurs à se l’approprier. Dans le cadre de ce cadre, l’OECP invite les acheteurs publics à adresser leurs contributions à travers leur expérience jusqu’au 4 août 2023 à l’équipe achats durables et innovation à l’adresse oecp-concertation.daj@finances.gouv.fr ( relire "Achat innovant : "voyons donc ce qui se pratique chez les acheteurs...."")/