[Tribune] Accès des PME à la commande publique : "arrêtons de légiférer et passons à l’exécution"

  • 12/11/2020
partager :

Jérôme André, ex responsable de service des marchés publics devenu AMO et consultant pour aider les entreprises à répondre aux marchés publics, s'étonne des mesures prises pour renforcer l'accès des PME à la commande publique. La crise du Covid-19 a fait resurgir les vieilles rengaines : "les marchés publics sont un frein, c’est chronophage "et "les marchés publics, c’est contraignant ; c‘est compliqué pour les PME-TPE ". Vraiment ? Est-ce que le code est la cause de tous les malheurs ?

La crise du Covid-19 a fait resurgir les vieilles rengaines : "les marchés publics sont un frein, c’est chronophage "(chant des élus) et "les marchés publics, c’est contraignant ; c‘est compliqué pour les PME-TPE" (contre-chant en harmonie des organisations patronales).
L'exposé de l’amendement de la loi ASAP proposant le relèvement du seuil des marchés sans publicité ni mise en concurrence des travaux à 100k€ ne fredonne pas autre chose : « Pour les achats d’un montant très inférieur au seuil européen, le formalisme d’une procédure de publicité et de mise en concurrence peut s’avérer être une contrainte disproportionnée par rapport aux enjeux de l’achat envisagé, tant pour les acheteurs que pour les entreprises.» « En faisant l’économie de délais contraints et des formalités coûteuses inhérentes à la procédure de passation d’un marché public, cette mesure profitera ainsi aux acheteurs et aux entreprises et permettra ainsi d’accélérer la relance de notre économie. »

A partir de quand, dans un pays capitaliste, l’absence de concurrence favorise l’efficacité ?

Si j’ai bien compris, face à une vraie problématique, la solution, c'est de relever les seuils. Il faudra qu’on m’explique comment un achat sans publicité et sans concurrence favorise un achat efficient... A partir de quand, dans un pays capitaliste, l’absence de concurrence favorise l’efficacité ? A partir de quand, l’absence de publicité favorise l’accès des entreprises, PME-TPE comprises, aux marchés publics ? Comment en relevant le seuil de 70 k€ à 100 k€ en travaux, on relance l’économie du pays ?

Le relèvement des seuils est inquiétant pour les finances publiques. Un marché public sans publicité ni sans mise en concurrence, c’est fréquemment une demande de 3 devis avec signature du contrat type, CGV comprise, de l’entreprise. Couramment, l’administration pour ce type de procédure s’abstient de sourcing, de définition du besoin et de la rédaction d’un cahier des charges. La computation des seuils est bien généralement non comprise.
Combien de fois, ai-je pu voir de petites collectivités contracter de gré à gré un contrat de location de photocopieur pour un montant affiché de quelques milliers d’euros se retrouver avec une facture finale de plusieurs dizaines voire centaine de milliers d’euros...

 L’accès des PME-TPE aux marchés publics n’est pas freiné par le code de la commande publique, mais bien souvent par la rédaction de cahier des charges incompréhensible

Oui, l’accès des marchés publics au PME et TPE est extrêmement compliqué. L’expérience m’a fait prendre conscience de l’extrême distorsion entre la volonté politique de nos dirigeants et leur mise en application concrète. L’accès des PME-TPE aux marchés publics n’est pas freiné par le code de la commande publique, mais bien souvent par la rédaction de cahiers des charges incompréhensibles pour une personne n’ayant pas bac +5 en droit public.

Voici un florilège (liste non exhaustive) d’horreurs rencontrées :
  • cahier des charges de 20 pages dont 8 sur la clause RGPD. Qu’on m’explique l’intérêt de cette clause dans un marché de viennoiserie bio !
  • devant l’absence d’estimation dans un marché sans mini et sans maxi (passé en MAPA) ; l’administration répond qu’elle n’en a aucune idée. Facile, pour savoir si mon entreprise à les capacités à exécuter correctement le marché...
  • marché avec reprise du personnel sans aucune information concernant le montant de la masse salariale. Le chiffrage se fait-il  à la roulette russe ?
  • réponse très fortement recommandée via un DUME papier (celui de 2016 : 19 pages en caractère 8) afin de « favoriser les démarches des entreprises ». Il fallait oser ! 
  • demande de remettre dans l’offre un AE daté et signé, puis 4 lignes plus loin « pour cette consultation la signature n‘est pas obligatoire » (problématique dans 1/3 des marchés). Donc... il faut signer l’offre ou pas ?
  • case « refus de l’avance » pré-cochée par l’administration, alors même que les conditions de versement sont réunies.
Sans parler des horreurs juridiques comme la référence au code des marchés publics (celui de 2009) ou l’obligation de répondre par voie papier.

Une thématique sur laquelle la littérature se révèle peu abondante, c'est le scandale du mémoire technique

J’ai pu lire également que l’accès des PME à la commande publique était freiné par la rédaction du mémoire technique. Une thématique sur laquelle la littérature se révèle peu abondante, c'est le scandale du mémoire technique.
Avant les critères de sélection des offres, l’attributaire était désigné par le principe de l’adjudication. L’entreprise proposant l’offre la moins onéreuse était déclarée attributaire. L’administration achetait donc du low cost. Puis sont arrivés les critères de sélection des offres avec le critère magique : la valeur technique. L’idée originelle est qu’un un ratio prix / VT est une illustration mathématique du meilleur rapport qualité/prix souhaité par l’administration (un prix bas avec une qualité moindre ; ou l’inverse). Idée brillante sur le papier. Or nous (et je m’y inclus) avons transformé le concept en un concours de littérature. Pour certaines administrations, le détournement est tellement ancré qu’il y a un changement sémantique. Le critère valeur technique est devenu le critère mémoire technique.
Il y a même des entreprises qui se sont spécialisées dans la rédaction de mémoires techniques. C’est devenu un business.
Le cahier des charges sur performances peut être une solution, mais il est très peu usité.

Je ne m’étendrais pas sur le non-respect par l’administration de mesures favorisant l’amélioration continue des entreprises répondant aux marchés publics. L’Open-data pour les organismes soumis au code de la commande publique en comptabilité privée est resté une belle promesse non suivie d’effet (heureusement, le PES marché pour les autres fait le job). La communication des pièces de la procédure est également un mirage. Sur plus d’une centaine de marchés répondus, une seule administration a bien voulu me communiquer le RAO...

La réalité du terrain est celle-ci. Il ne s’agit pas d’exemples tirés de petites collectivités non munies de moyens adéquats, mais bien de problématiques largement répandues, touchant toutes les administrations petites comme grandes, collectivités territoriales, établissements publics etc…

Messieurs les élus, vous souhaitez améliorer l’accès à la commande publique ? Alors, arrêtez de légiférer et passez au cas pratique.
De formidables expériences ont été tentées avec succès. Le BREIZH SBA est une association représentant des communes et structures publiques bretonne ayant mis en place un arsenal pratico-pratique en faveur des PME-TPE. Le SBA Toulousain a fait la même chose. Il existe également de toutes petites structures qui se préoccupent de leurs partenaires commerciaux. Le CAUE des Bouches du Rhône, lors du passage à la full démat, a invité les architectes du territoire à un speed dating de la démat. Par session de 30 min, une explication était diligentée sur leur plateforme de démat et les changements post 01 octobre 2018.
D’autres structures ont également développé des cahiers des charges simplifiés (l’EFS par exemple). On ne parle plus de CCAP, CCTP... mais de contrat. On utilise des mots compréhensibles par tous et on évite les placards d’articles de droit.
Au Maroc, la plateforme de dématérialisation est unique. Afin de faciliter l’accès des PME-TPE aux marchés publics, on pourrait s’en inspirer ?

Les textes régissant les marchés publics évoluent en permanence, et c’est une bonne chose. Cela prouve la vitalité de la matière en cherchant à s’adapter avec son temps. L’ordonnance de 2015 / décret 2016 ont été empreints de ce pragmatisme de terrain. Demain, les CCAG seront renouvelés.

Les textes sont bons (même si l’appel d’offres reste une ineptie) ; en revanche leur application est aujourd’hui clairement perfectible. Des solutions existent. La formation est indispensable. Comment, en 2020, une grande administration étatique peut quasiment imposer le DUME papier (passe encore un e-DUME en pdf et non en .xml) ?
Il existe pour les achats redondants, l’accord cadre à MS permettant d’obtenir un cocontractant en 15 jours. L’aspect chronophage est un mauvais procès. Le temps en amont de la réflexion, du sourcing est bien souvent gage d’un achat efficace. La précipitation est à l’inverse source de dépense non justifiée pour une satisfaction médiocre.