La commande publique à contrepied du général

  • 22/11/2019
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"Sans l'autorité d'un seul, il y aurait la lumière, il y aurait la vérité, il y aurait la justice. L'autorité d'un seul, c'est un crime."
Louise Michel


L’armée est, en principe, « La grande muette ». Un poncif, sans doute… Car le général Georgelin, nommé par Emmanuel Macron pour superviser le chantier de la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris, a utilisé un vocabulaire et usé d’un ton assez peu en vogue à l’Assemblée nationale. Devant la Commission des affaires culturelles, il s'en est pris à l'architecte en chef des monuments historiques. Philippe Villeneuve s’était auparavant déclaré favorable à une reconstruction à l'identique de la flèche. Et le général d’asséner : « Je lui ai déjà expliqué plusieurs fois et je lui redirai: qu’il ferme sa gueule et nous avancerons en sagesse pour que nous puissions sereinement faire le meilleur choix pour Notre-Dame, pour Paris et pour le monde
Contacté par achatpublic.info, le Conseil national de l’ordre des architectes, par la voix de son président Denis Dessus, considère que l’architecte en chef des bâtiments « doit donner avis, conseil et assistance sur les travaux à réaliser. Il est parfaitement dans son rôle en s’exprimant sur le devenir de la restauration de la cathédrale. C’est une voix pertinente et éclairée que les différents acteurs, dont M. Georgelin et le gouvernement, sont tenus d’écouter et d’entendre
 

L’heure serait plutôt à la diplomatie

La commande publique ne s’inscrit vraiment pas dans la logique du général. Bien au contraire : la tendance  serait plutôt à l’écoute et à l’échange. Mieux se parler pour mieux se comprendre, et donc mieux travailler.
Commençons, justement, par les architectes. Il existe, certes, certaines tensions avec les maîtres d’ouvrages (relire "L’Ordre des architectes condamné pour organisation de pratiques anti concurrentielles"). Mais ils font des efforts (lire "Maîtrise d’ouvrage : les architectes veulent aider les maires à réussir la transition écologique"). Les entreprises aussi semblent vouloir faire front commun (relire "BTP : la RSE au cœur… de toutes les attentions").
La volonté d'ouverture à l'autre semble réciproque. Les acheteurs développent aussi (et parfois même "en interne"), la pratique de la médiation (lire "Marchés publics : un médiateur interne pour désamorcer les conflits"). Une fonction essentielle et une posture tout en équilibre : « il  faut commencer par s’assurer que tout le monde est prêt à échanger ; il ne s’agit pas d’avoir raison, mais de co-construire vers une solution positive.»

C'est ce même esprit d’apaisement que dit vouloir encourager la DAJ et devrait se retrouver dans ses travaux actuels sur la de refonte des CCAG. Pour Bercy, il s’agit d’ « inviter les parties à établir un véritable dialogue, dans le cadre de relations plus équilibrées » (relire "CCAG : les 6 propositions de la DAJ pour prévenir les litiges").
 

Front commun

Ces échanges mâtinés de courtoisie semblent d’autant plus nécessaires que, paradoxalement, la vertueuse gestion financière des collectivités territoriales, saluée par tous, pourrait entraîner à terme un effet de bord négatif sur l’évolution de la commande publique. Une préoccupation forte, tout au long du102e Congrès des maires qui s’est tenu cette semaine. Les dépenses d’investissement des collectivités auront baissé de 15 milliards d’euros d'une mandature à l'autre. « Une diminution sans précédent » (lire "Des finances locales saines : une bombe à retardement pour l’investissement"). Pour équilibrer leurs comptes et face aux baisses de dotations, le plus simple a parfois été de retarder les travaux nécessaires et d’appliquer « des rustines ». Qui plus est,  si on assiste en 2020 à un fort renouvellement des élus, la reprise de l’investissement post-électoral pourrait être en plus tardive que celle classiquement observée.

Alors, oui, décidément, le général semble, lui, bien isolé … Et surtout avoir confondu autorité et autoritarisme.
 

Jean-Marc Joannès