Commande publique : les critères RSE lâchent les freins !

  • 10/01/2020
partager :

"Entreprendre consiste à changer un ordre existant"
Joseph Aloïs Schumpeter

Assouplissement des procédures, nouveaux seuils, incantations pour une commande publique plus économique que juridique… Ces objectifs sont en cours de réalisation. Il en existe un qui devrait reprendre un remarquable essor : l’insertion de critères RSE. Dès l’ordonnance de 2015, un cap était donné. Jean Maïa, alors DAJ, expliquait que trois lignes de force principales soutenaient l’ordonnance du 23 juillet 2015 : la rationalisation et le renforcement de l’accès à la commande publique ; le troisième axe, c’est l’utilisation stratégique de la commande publique, conformément à l’esprit des directives : renforcement des clauses sociales et environnementales, extension du dispositif de réservation de marchés aux entreprises relevant de l’économie sociale et solidaire (ESS)...
 

Stop and go

La commande publique au soutien des politiques environnementales, sociales, voire sociétale. C’est un large champ qui s’ouvrait ainsi aux pouvoirs adjudicateurs. Ils pouvaient s’appuyer sur une justification imparable : "puisque la satisfaction d’un besoin peut s’assouvir par l’utilisation des deniers publics, il n’y a aucun obstacle à ce que, ce faisant, la commande publique devienne aussi un levier au service d’autres politiques". Piste dégagée et horizon clair devant eux, les acheteurs pouvaient s’en donner à cœur joie, quelles qu'en soient leurs motivations, y compris celles tenant parfois à une volonté d'affichage. C’était sans compter le contrôle du Conseil d’Etat.
Jacques Fournier de Laurière (lire "Critères RSE : Beaucoup de maîtres d’ouvrage ont fait preuve de légèreté ") rappelle l’impact de l’arrêt "Nantes métropole" de 2018. Il a mis fin à une sorte d’euphorie, comme un sentiment de pleine puissance : « la communication "politique" de tous les gouvernements poussait à l’intégration de critères RSE. On demandait à l’achat public d’être éthique et exemplaire… » Conséquence : « Beaucoup de maîtres d’ouvrage ont fait preuve de légèreté, considérant que puisqu’ils allaient dans le sens de l’histoire et répondaient aux impulsions "politiques", c’était forcément légal… » Selon Jacques Fournier de Laurière, « la volonté de communication l’a emporté sur la réalité contractuelle ». En 2018, le Conseil d’Etat a donc simplement posé une limite, rappelant qu’un critère n’est légal que pour autant qu’il est directement lié, de façon pratique et concrête, au marché passé. De quoi freiner les ardeurs : certains maîtres d’ouvrage, pourtant assez en pointe, ont alors revu à la baisse leurs intentions "sociétales".
 

L’élasticité du lien

Il a fallu donc trouver un équilibre et, surtout, de quoi maîtriser la notion de "lien". Qui détermine l’existence d’un lien « concret » avec l’exécution du marché ? Qui en apprécie l’élasticité ? Le Conseil d’Etat vient de libérer les énergies. Dans un arrêt du 20 décembre 2019 (lire "Un acheteur peut apprécier les retombées d’une offre sur l’emploi local"), le juge considère que les apports d’une offre en termes d’emplois locaux induits par l’activité objet du contrat peuvent constituer un critère légal. On voit bien l’ouverture,  mais on peut encore s’interroger sur l’articulation avec cette ligne rouge de la commande publique d’interdiction de tout critère "localiste". Autre point encore à éclaircir, celui de l’articulation entre le feu vert donné à un recours plus marqué aux critères RSE, et la volonté d’ouverture de la commande publique aux PME : plus on améliore qualitativement les critères de la commande publique, plus on exige des PME des efforts. « Dans les années à venir, l’adéquation entre l’ouverture des marchés publics aux PME et l’exigence toujours plus qualitative de ces marchés nécessitera une adaptation plus difficile pour les PME que pour les grands groupes» considère Jacques Fournier de Laurière.
 

Le modèle rennais

Certains acheteurs jouent une autre carte, celle de la complémentarité à travers des dispositifs très élaborés : « Nous n’achetons plus du lait, des légumes ou de la viande, mais un service environnemental de protection de notre ressource en eau ». C’est par les achats pour les cantines que la ville de Rennes et plusieurs communes autour d’elle ont jeté les bases d’un nouveau type de filière agricole : le producteur au centre, respectant de mieux en mieux l’environnement avec, en bout de ligne, des consommateurs ne s’en portant que mieux. « Un écosystème vertueux » (lire "A Rennes, la commande publique transforme le modèle agricole").
Mais est-ce vraiment surprenant (relire "Santé : des stratégies nationales... une anticipation locale"), que l’innovation vienne d’abord du « local » ?


Jean-Marc Joannès