La lettre et l’esprit du code : j'ose, vous osez, ils osent ... (ou pas)

  • 24/01/2020
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«Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel»
Jean Jaurès

La visite de chantier… en voilà une bonne idée ! Rien de mieux pour susciter des offres pertinentes !  D’autant plus que l’acheteur public dispose pour l’envisager, l’organiser et la mener, d’une très grande liberté. Notre enquête  "La visite de site en 5 questions" (1/2 et 2/2) met en valeur une pratique professionnelle peu encadrée par les textes... et soumise à une jurisprudence discrète et parfois contradictoire. Une possibilité ouverte à l'acheteur assez révélatrice du choix entre une commande publique "conforme" et commande publique "libérée". L’acheteur public "libéré" se retrouve devant une multitude de  choix : faut-il  organiser une visite de chantier ? Doit-elle être obligatoire ou facultative ?  Individuelle ou collective ? A quelle date faut-il l’organiser ? Doit-elle permettre des questions/réponses ?
La visite de chantier montre que, décidemment, la liberté, cela se décide, s’acquiert. Elle implique toujours de l’investissement... et une part de prise de risque. On est d’accord : c’est toujours mieux que de tout faire sans jamais se poser de questions (lire "Paiement de factures sans contrat écrit : un comptable public condamné").
 

Sans complexe ...

Certains acheteurs sont, eux, persuadés que les textes ne forment qu'une simple base qu’il convient, bien sûr, de respecter. Mais ils se refusent à les considérer comme l’Alpha et l’Oméga de la commande publique. Marina Brodsky est de ceux qui militent pour un achat public "décomplexé", voir "libéré". La réglementation au service du besoin, et non l’inverse ! « Le temps perdu dans le formalisme des procédures pourrait être tellement mieux investi dans le développement du sourcing ou l’apprentissage des techniques de négociation » écrit-elle dans sa tribune (lire "Et si on érigeait en principes généraux de la commande publique le pragmatisme, l’efficacité et le bon sens ? ").
 

... s’affranchir ...

La maîtrise du Code de la commande publique n'aurait pas pour finalité de fixer des procédures à respecter à la lettre pour, au final, s'enfermer dans un carcan inhibateur. L'acheteur public devrait au contraire savoir s’affranchir de certaines dispositions qui nuisent à l’efficacité de l’achat. Un veritable plaidoyer pour une responsabilisation (et donc une responsabilité) de l’acheteur public.
Ce credo se fait de plus en plus entendre. Il est vrai que c’est bien l'une des lignes directrices du code de la commande publique : l’acheteur public est ce professionnel dont la mission est de mener à bien le meilleur achat, depuis la passation jusqu’à l’exécution, avec le souci permanent de l’efficacité. Ne faut-il pas pas désormais passer d’une vision juridique de l’achat à une conception globale du besoin (lire  "Se diriger vers une analyse TCO de l’achat public") ?
 

... et expérimenter !

Un code qui appelle à l’initiative et des textes un peu flous, cela pousse certains acheteurs à agir sans trop s’embarrasser de questions "philosophico-juridiques". Prenons l’exemple de la procédure (en cours d'expérimentation) de l’achat innovant (relire "Achat innovant : les embûches du décret de Noël", "Achat public innovant : un dispositif qui demande à être plus connu et…utilisé !" et "Mettre en place des achats innovants : conseils opérationnels et pratiques"). On s’est vite aperçu que "l’innovation", ce n’est pas simple à définir. A tel point que la DAJ recommande de s’appuyer sur un faisceau d’indices ("Guide pratique de l’Achat public Innovant OECP – mai 2019"). Une imprécision qui refreine certains acheteurs. Mais dont certains entendent jouer.
Un exemple : cette régie qui décide de s’affranchir de son statut et qui, pour faire face à une surcharge ponctuelle (mais prévisible) externalise les prestations dont elle a la charge (lire "Pourquoi et comment j’ai passé un marché Achat innovant"). Xavier Flament explique que, compte tenu du régime juridique de la régie qui repose sur l’internalisation des missions, recourir à l’externalisation pour assurer certaines prestations, cela relevait d’une «innovation organisationnelle». Et il l’assure : recourir à la procédure "marché innovant" ne relevait pas d’un habillage juridique, mais de l'application du texte dans son esprit.
Une innovation telle que la DAJ l’a contacté pour se faire expliquer où se nichait l’innovation….

 

Jean-Marc Joannès