La commande publique, cet art du dépassement

  • 07/02/2020
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« Il faut d'abord nettoyer le passé pour avancer dans le futur»
Angus Young (AC/DC)

C’est assez rare pour être signalé : un journal TV consacre un sujet de plusieurs minutes sur l’achat public. Et pour une fois, sans verser dans la dénonciation de la corruption ou de la dépense mal maîtrisée (relire "Corruption : informer sans caricaturer") ! A l’honneur, ce lundi 3 février dans le 20h00 de France 2, l’hôpital de Valenciennes : « Il fait figure d’exception, avec 7 millions d’euros de bénéfices chaque année ! ». Mais comment donc ? s’interroge la "voix off". En faisant des médecins les gestionnaires des dépenses ! Le pari de la direction est, depuis 10 ans, de faire fonctionner ses 10 services de façon autonome. En somme, la redécouverte de la notion d’unité opérationnelle (relire " Achat résiduel hors centrale d’achat public : quid de la computation des seuils ?").

A l’hôpital de Valenciennes (qu’achatpublic.info avait déjà ausculté : relire "Le CH de Valenciennes récompensé pour sa gestion de performance des fournisseurs"), les chefs de services gèrent leurs dépenses pour tout achat de valeur inférieure à 75 000 €, sans avoir à demander l’aval de l’administration. « Auparavant, la moindre dépense, même pour des compresses, nécessitait de la bureaucratie et des semaines de délai » témoigne un de ses chefs de services. Un autre poursuit : « les "administratifs", moins au contact, comprennent moins bien l’intérêt de certains outils, matériels ou produits. Nous avons réussi à dépasser cela ». Puis un troisième assure la mission d’"élément modérateur" : « Ce n’est pas parce que c’est de l’argent public que l’on ne doit pas être performant ; la contrepartie, naturelle, c’est aussi que nous devons rendre des comptes ». Une responsabilisation financière de l'acheteur public (au sujet de cette tendance assumée, relire "Quelle rentabilité des acheteurs publics ?").
 

Passer un cap

Cette séquence télévisée « grand public » entre en résonnance parfaite avec les travaux menés lors du Forum des achats publics, organisé par le Conseil national des achats à Lyon le mercredi 29 janvier (lire "Un achat mutualisé, dématérialisé… mais demain ?"). A n’en pas douter, un cap est passé. L’heure n’est plus à une comparaison entre acheteur public et acheteur privé. « La recherche de la performance économique est partout ». Apparemment, l’achat public a effectivement su dépasser cela, avec à la tête de ce mouvement, l’achat public hospitalier. Il semble avoir en matière de réflexion organisationnelle, financière et stratégique, une petite longueur d’avance sur l’Etat et les collectivités territoriales (relire "Achat public hospitalier : les bonnes compétences sur les bonnes fonctions !").
 

Les promesses du futur

De nos jours, la véritable performance, ce serait de savoir envisager la commande publique autrement… de la "réinventer". A Lyon, les acheteurs se sont ainsi interrogés sans réserve sur les vertus de la mutualisation de services : non, ce ne sont pas que des mesures à visées financières ; c’est aussi la diffusion d’expérience. La "massification des achats" ? Non, ce n’est pas nécessairement la globalisation aveugle : « il faut trouver le bon degré de massification ; il est alors possible de répondre à une analyse fine des besoins.» Il s' instille ainsi une dose de décentralisation dans la commande publique. Un peu à contrecourant, ou nouveau : il est vrai que la centralisation des services Achats est parfois mal perçue (relire "Achat durable : centraliser pour évaluer" (1/2) et (2/2)).
Se réinventer, cela passe donc par réinterroger les "process", les simplifier, « en évitant la simplification de façade ». Une remise à plat tous azimuts : « On ne simplifie pas pour soi : la simplification doit viser les fournisseurs, et il faut aussi savoir exiger cette simplification de la part des fournisseurs ».
Peut-être faut-il aller encore plus loin. La commande publique de demain s’envisage aussi à l’aune de l’intelligence artificielle : demain, la gestion efficace des données permettra-t-elle (et avec quels conséquences ?) une relation directe prescripteur / fournisseurs…


 
Jean-Marc Joannès