Achat public : un nouveau coup du Saur

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" Je connais mes limites. C'est pourquoi je vais au-delà "
Serge Gainsbourg


L’affaire tombe bien mal pour le Gouvernement. Le parquet national financier (PNF) a retenu à l’encontre d’Olivier Dussopt une infraction de favoritisme en vue d’un éventuel procès sur un marché public conclu à la fin des années 2000 avec le groupe Saur, alors qu’il était maire d’Annonay.
On rappellera ici les formules d’usage, mais précieuses, sur la présomption d’innocence. On indiquera aussi que sur France Inter, dès le 4 février, le ministre se défend en contestant l'idée d'un quelconque "arrangement" avec l’entreprise.

Faisons court, le délit de favoritisme, c’est le fait, pour un élu ou un agent, de procurer un avantage à un candidat, de manière volontaire ou non, sans nécessairement de retour attendu. Autrement dit, c’est mettre à mal le code de la commande publique en courcircuitant tous les dispositifs tendant à assurer l’égalité de traitement des candidats et la transparence en faussant les règles de libre concurrence. Et ce, donc, quand bien même l’intention ne serait pas en elle-même délictueuse ou réalisée en l’absence de poursuite d’un intéret ou d’enrichissement personnel. C’est d’ailleurs, pour l’heure, la ligne de défense du ministre : "Tout ce que j'ai fait s'est inscrit dans un seul objectif concernant la ville d'Annonay : faire en sorte de tenir une promesse de campagne qui était de passer en régie et faire en sorte de baisser le tarif de l'eau pour les Annonéens".
 

Echo médiatique et amalgames

L’affaire tombe bien mal pour l’achat public, aussi : dans le contexte de réforme des retraites, elle devrait recevoir un fort écho politique et donc médiatique (ou l’inverse...). C’est donc ainsi que les Français vont découvrir, ou redécouvrir, ce qu’est le délit de favoritisme, aussi nommé "délit d’octroi d’un avantage injustifié" prévu à l’article 432-14 du code pénal. Et l’amalgame pourra être fait aisément, sans interlocuteur averti pour y parer, avec la prise illégale d’intérêt et la corruption.
C’est donc une certaine vision de l’achat public qui va être mise sur le devant de la scène, le "Tous Pourris". Alors que la réalité des chiffres est toute autre (relire "Rapport annuel Smacl : Les manquements à la probité... toujours « au top »") et que, à l’échelle mondiale de la mesure de la perception de la probité, la France s’en en tire pas trop mal. Quand bien même on peut (et doit) toujours exiger plus en la matière (relire "21e /180 : la place de la France dans l’indice mondial de perception de la corruption").
 

Les entreprises, "Toutes pourries" ?

"Tous pourris ", les politiques ? Si l’on se perdait à adopter le même raisonnement, on s’écrierait alors « Toutes, pourries les entreprises ! ». Depuis quelques temps, nous creusons la piste des ententes anticoncurrentielles, qui elles aussi s’analysent des contournements des règles de la commande publique (relire par exemple "Entente anticoncurrentielle : quand l’attributaire refuse le marché public au profit du second"). 

Un véritable obstacle à une bonne gestion des deniers publics, ces ententes anticoncurrentielles ! Pour mémoire, il s’agit de de tous les accords de volonté qui ont pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, soit en limitant cet accès à d'autres entreprises, ou bien en favorisant artificiellement la hausse ou la baisse des prix, soit en se répartissant les marchés (C. commerce, art. L. 420-1).

Un fléau contre lequel un "ancien" de la DGCCRF a mis en garde tous les acheteurs publics. Son témoignage dans nos colonnes est par ailleurs surprenant : il nous apprend l’un des objectifs majeurs de la possibilité de rectifier les erreurs dans le dépots des offres. « Déposer un dossier rapidement en ayant la certitude de ne pas être retenu était facile, il y a encore peu de temps. Les opérateurs avaient cerné les failles de la règlementation des marchés publics. Ils pouvaient simplement "oublier" une pièce administrative dans le dossier de candidature, et/ou ne pas signer dans l’offre l’acte d’engagement, puisque de telles omissions entrainaient de facto l’éviction du candidat ».
Ainsi, admettre la possibilité pour un pouvoir adjudicateur de faire compléter une candidature, ensuite supprimer l’obligation de signature de l’acte d’engagement au stade de la remise des offres, et autoriser la régularisation des offres irrégulières, c'est contraindre à davantage d’ingéniosité les entreprises membres d'une entente pour mener de telles manœuvres frauduleuses... (relire "Démarches à suivre en cas de soupçon d’entente anticoncurrentielle").
Toujours réjouissant de découvrir les "ressorts secrets" d’une évolution réglementaire ou jurisprudentielle !
 

Les hauts et les bas des offres

Cette semaine, nous pointons ainsi l’existence, moins souvent rappelée que celle des OAB (relire "Caractériser et traiter une offre irrégulière : "entre vigilance et pragmatisme"») des offres "anormalement hautes". Et la nécessité de les détecter (lire "Offre anormalement haute : un indice d’une concertation anticoncurrentielle"). Car si l’offre anormalement haut» peut être une offre inacceptable, elle peut aussi constituer un indice d’une concertation anticoncurrentielle...

Pauvre achat public... coincé entre sa mauvaise réputation, des politiques à tout le moins peu attentifs et les entreprises qui savent, elles aussi, parfois, jouer de ses failles.