Vous avez dit « nouvelle culture achat » ?

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« La fin justifie les moyens. Mais qu'est-ce qui justifiera la fin ? »
Albert Camus

Devant la Commission des affaires économiques du Sénat, qui se penche sur le projet de loi "Industrialisation verte", le ministre de l’Economie Bruno Le Maire explique, s’agissant du rôle de la commande publique (« laquelle représente 150 milliards d’euros ») qu’il s’agit aussi également de changer la culture des acheteurs publics, « pour que les critères écologiques soient appréciés au même niveau que les critères économiques » (lire "Industrialisation verte : « il s'agit de changer la culture des acheteurs publics » selon Bruno Le Maire").
 

Un projet de loi en procès

Après la "professionnalisation", c’est donc aussi à "un changement de culture" que sont appelés les acheteurs publics. Des propos qui amènent sans surprise des réactions : « Changer la culture des acheteurs ou de l'achat public ? ». Ou encore : « Au-delà du changement de culture, se pose la question des outils » peut-on lire sur les réseaux sociaux. .

On ne peut pas considérer que ce débat sur l’adéquation des moyens aux objectifs assignés rentre dans la ligne de l’énigme de l’"Œuf ou la Poule". Mais on n’en est pas loin : rien ne sert de fixer des objectifs sans les moyens idoines. Ou les risques du grand écart...
La problématique a resurgi avec vigueur lors dès les débats et le vote de la loi "Climat et résilience", nombre d’acheteurs regrettant l’absence d’outils à leur disposition pour mesurer les offres, grossièrement décrites comme "plus écolos", ou tout simplement pour fixer des critères environnementaux que les entreprises sont appelées à respecter.

Certes, la création d’un "standard EEE", prévu par le projet de loi "Industrialisation verte" est une forme de réponse (relire "[Interview] Bruno Millienne : « Simplifier la commande publique durable, grâce au standard "EEE""). Mais un tel "standard", de quelque nature qu’il soit, est-il à la hauteur des objectifs que se fixe la loi ? Ou alors... le projet de loi, en tout cas en matière de commande publique, n'aurait pour seul objectif d'accélérer les délais de mise en œuvre par les acheteurs publics de la loi "Climat et résilience", avec, finalement, peu de moyens nouveaux... résumés à un nouvel appel à une "révolution culturelle" des acheteurs publics.

Mais filons la métaphore : oui, avec une nouvelle loi pour accélérer le verdissement de la commande publique et, en creux, favoriser la commande publique locale, le Gouvernement marche sur des œufs. Christophe Hannequin-Amoretti pointe une contradiction de fond : « introduire des externalités carbone dans des marchés de denrées alimentaires ne favorise guère l’accès à la commande publique de petits producteurs locaux. Alors que c’est souvent l’un des objectifs recherchés…» (lire "[Interview] Chr. Amoretti-Hannequin : « Une politique d’achat durable réfléchit forcément à la question de la localisation » ").

Par ailleurs, et avouons-le, cela a suscité notre surprise : tous les acheteurs ne sont pas demandeurs d’innovation législative, voire d’assouplissement réglementaire. Ainsi, l’une de nos enquêtes de la semaine (lire"« Exception alimentaire » : davantage de souplesse demandée… mais pas une sortie du CCP") montre que plusieurs associations, spécialistes dans l’achat de denrées alimentaires et dans la restauration collective, vantent les vertus de la règlementation déjà en vigueur : « la mise en concurrence pousse les filières à se structurer et à se professionnaliser. Et à connaître ainsi les enjeux et les contraintes des personnes publiques.»
 

Et donc, un nouvel appel aux acheteurs

En revanche, cela ne signifie pas que les acheteurs publics ne peuvent de se désintéresser de la mise en musique, de la loi "Industrialisation verte", tout comme de la loi "Climat et résilience".

Pour France Urbaine, par exemple, « les progrès à réaliser concernent principalement l’accompagnement et la formation des collectivités et des entreprises » (relire "Projet de loi "Industrialisation verte" : Intercommunalités de France réagit").

Avec moins de pincettes, lors de l’audition de Bruno Le Maire, le sénateur Jean-Yves Roux, au nom de la Commission des lois, souligne « une vraie difficulté de terrain ». Il s’agace de constater que les motifs d’exclusion des procédures de passation des contrats publics prévus par le projet de loi « ne s’appuient que sur une déclaration sur l’honneur, visiblement pas contrôlée ». Il rappelle que les motifs d’exclusion dits « à l’appréciation de l’acheteur » ne sont, eux, jamais utilisés, « vraisemblablement par crainte de futurs contentieux ». En conséquence, il interroge le ministre : « s’il faut ajouter de nouveaux motifs d’exclusion au nom du verdissement de l’achat public, comptez-vous donner des directives aux acheteurs publics pour qu’ils s’approprient davantage les procédures d’exclusion, notamment celles laissées à leur appréciation ?»

C’est un peu le procès général qui court contre les dispositions Commande publique du projet de loi, en l’état : il est, au mieux, redondant avec la loi "Climat et résilience" ; au pire «indécis», pour reprendre le terme employé par le Conseil d’Etat (relire "Projet de loi Industrialisation verte : avis mitigé du Conseil d’Etat").
 

De nouveaux habits... bien portés

Un acheteur public donc à nouveau sollicité, jusqu’à lui suggérer de revêtir et d’assumer ses nouveaux habits, ceux du "contract manager". C’est le sens de la tribune de Me Jean-Marc Peyrical (lire "A la recherche du Contract Manager"). Dans cet exercice, le président de l’Apasp, réactualise les missions de l’acheteur. Certes, elles ne se limitent plus à assurer des procédures de passation en bonne et due forme. S’il est défini comme « l’homme clé du contrat », c’est aussi parce que ses missions s’étendent désormais, depuis la détermination de sa stratégie achat de l’entité jusqu’au volet financier de l’exécution du contrat.

Une mission d’autant important à rappeler, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics...