Peut-on imposer un procédé technique particulier ?

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Le juge du référé précontractuel a validé le choix fait par un pouvoir adjudicateur d’imposer dans le cadre de son marché un procédé technique particulier sans possibilité d’équivalence. L’offre d’une entreprise qui ne respecte pas cette spécification est irrégulière.

La commune de Gordes a lancé, en MAPA, une procédure en vue de la réalisation d’une station d’épuration à lits plantés de roseaux. Un candidat, la société Phyto Plus, a présenté une offre portant sur une station d’épuration par cultures fixés. Estimant que l’offre ne respecte pas les exigences formulées, le pouvoir adjudicateur a rejeté son offre comme irrégulière (article 35 du code des marchés publics). Ni une, ni deux, le juge du référé précontractuel a été saisi. Devant lui se pose la question de la régularité des spécifications techniques du marché. « Ces exigences n'étaient pas formulées, conformément aux exigences de l’article 6 du CMP, en termes de normes, d’exigences fonctionnelles ou de performances (alors même que la règlementation en la matière fixe des exigences parfaitement claires en matière de traitement des eaux) mais imposaient le recours à un procédé d’épuration basé sur l’utilisation de végétaux, excluant totalement d’autres procédés connus et tout à fait à même de répondre à la règlementation », relève maître Géraud d’Alboy, avocat au cabinet Palmier & associés. L’argument n’a pas été retenu par le magistrat qui, selon l’avocat, a rendu une ordonnance « surprenante et contestable ». Dans une décision, rendue le 15 décembre dernier, le juge nîmois relève que « le choix de cette filière particulière d'épuration, basée sur l'utilisation de végétaux, opérationnelle et mise en œuvre depuis de nombreuses années par de nombreuses entreprises différentes, n'a ni pour objet, ni pour effet de favoriser ou d'éliminer des opérateurs économiques œuvrant dans cette filière ».

Une décision favorable au pouvoir adjudicateur

« Pour ne pas déclarer illégale la spécificité technique, le juge constate que la solution doit être « opérationnelle et mise en œuvre depuis de nombreuses années », ce qui revient à dire qu'elle fonctionne, commente maître Eric Lanzarone, avocat au barreau de Marseille. De plus, le contrôle du juge s’exerce « filière » par « filière ». En l’espèce, ajoute l’avocat, le magistrat ne s’est pas borné à vérifier la filière générale assainissement, mais a également vérifié qu'au sein de celle-ci la filière développement durable, ce qu'il nomme la « filière particulière d'épuration », comporte depuis longtemps la solution technique ». Son confrère se montre plus critique vis-à-vis de la solution rendue : « le juge administratif, loin d’appliquer les règles dégagées par la jurisprudence administrative (CE, 30 septembre 2011, Région Picardie), paraît inventer, à côté des normes, des performances et des exigences fonctionnelles, les concepts tout à fait étrangers au droit de la commande publique de « filière de traitement particulière » ou « parti technique d’aménagement et d’exploitation », remarque Géraud d’Alboy. Concepts, qui peuvent selon lui légalement être imposés aux candidats, alors même que ceux-ci restreignent la concurrence, dès lors que comme le reconnaît lui-même le juge, il existe d’autres « filières » permettant d’atteindre des performances comparables ». En effet, le juge considère que « ce choix pouvait être librement décidé par la commune, nonobstant l'existence d'autres filières non traditionnelles d'assainissement à performances comparables ». « Le magistrat va encore plus loin dans son œuvre créatrice, poursuit l’avocat parisien, en jugeant que la condition d’affectation de la concurrence ne s’appréciait qu’entre opérateurs « œuvrant dans cette filière », c’est-à-dire commercialisant ce procédé technique, sans se soucier de la situation des opérateurs économiques qui précisément commercialisaient un procédé technique différent et ayant également fait ses preuves ». La décision apparaît particulièrement favorable au pouvoir adjudicateur car on comprend difficilement que ce dernier puisse imposer un procédé dès lors que d'autres procédés, tout aussi écologistes, permettent d'obtenir des performances comparables.