Partialité d’un AMO : l’acheteur victime et coupable ?

partager :

Les acheteurs font souvent appel à des assistants à maitrise d’ouvrage (AMO) pour les aider, mais comment s’assurer qu’il n’y a pas de lien entre eux et les candidats au marché ? La méconnaissance de relations n’est pas une excuse. Un tribunal administratif a récemment annulé une délégation de service public. La raison : une salariée de l’AMO a été recrutée par le titulaire juste après l’attribution du contrat.

« On ne peut pas être exclu par principe d’une procédure de passation dès lors qu’on est intervenu en amont de la procédure » rappelle d’emblée Me Nicolas Lafay qui cite les décisions Génicorp (CE, 29 juillet 1998, n°177952) et Fabricom (CJUE, 3 mars 2005, C21/03). Sur ce point la jurisprudence est constante. Cette question est également abordée dans les interdictions facultatives de soumissionner (article 48 de l’ordonnance relative aux marchés publics et article 42 de l’ordonnance relative aux contrats de concession). Mais que se passe-t-il si un salarié de l’assistant à maitrise d’ouvrage est recruté par le titulaire suite à l’attribution d’un contrat ? Un candidat évincé a ainsi saisi le tribunal administratif au motif que le principe d’impartialité aurait été méconnu. L’affaire concerne  la délégation de service public de la gestion du centre hippique municipal de Saint-Maur-des-Fossés attribuée par la commune à l’UPCA Sport Loisirs. La mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage consistait en l’élaboration du dossier de consultation jusqu’au choix du titulaire. La DSP a été attribuée le 22 juillet 2016. Le requérant invoque qu’un membre de l’équipe de l’AMO a été recruté par le titulaire, suite à l’attribution de la DSP. Le contrat de travail porte la date du 8 août de la même année, avec prise d’effet au 5 septembre.

Le doute suffit

Le juge rappelle que le principe d’impartialité est un principe général du droit et que sa méconnaissance constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Il retient que « le caractère très récent de sa collaboration avec l’attributaire de la DSP et la concomitance de ce recrutement quelques semaines après l’attribution de celle-ci pouvait légitimement faire naître un doute sérieux sur l’existence d’intérêts communs nés antérieurement et, par voie de conséquences, sur l’impartialité de la procédure ». Les avocats Nicolas Lafay et Pierre-Yves Nauleau indiquent que la preuve est difficile à apporter dans ce type d’affaire. Le doute sérieux est donc suffisant pour caractériser la rupture du principe d’égalité et la charge de la preuve inversée. C’est à l’acheteur de démontrer qu’il n’y a pas eu rupture du principe d’égalité. 

Le caractère très récent de sa collaboration avec l’attributaire de la DSP et la concomitance de ce recrutement quelques semaines après l’attribution de celle-ci pouvait légitimement faire naître un doute sérieux

Me Lafay évoque l’ordonnance du juge des référés du TA de Paris  Société JCDecaux France  au cours de laquelle l’acheteur a pu prouver qu’il n’y  a pas eu impartialité : la société requérante avait mis en avant que le frère du président de la société attributaire avait travaillé pour une agence qui avait contribué à la rédaction des documents définissant les prestations attendues des candidats (voir le lien sur l’article en bas de page). Pour sa part, la commune de Saint-Maur des Fossés, a faitvaloir qu’elle n’avait pas connaissance des liens entre la salariée de l’AMO et l’attributaire du marché. Pour le juge, « la circonstance que Mme F… n’ait pas informé la commune des contacts pris avec l’UCPA « au cours de l’été », en vue de son possible recrutement, alors que cette circonstance aurait justifié et permis que la commune prenne une mesure en vue de lever ce doute légitime, par exemple en écartant cette dernière de la procédure d’analyse des offres, est sans incidence sur l’irrégularité de la procédure ».

Comment se prémunir

Pour les deux avocats, l’acheteur et le cabinet d’AMO sont les principales victimes et ils n’ont pas de véritables outils pour se prémunir. Néanmoins, les avocats proposent plusieurs pistes. Primo, exiger une déclaration de non conflit d’intérêt au stade des candidatures sur le fondement des interdictions de soumissionner facultatives. Deuzio, demander à l’AMO, dans le mémoire technique, les actions qu’il mène en tant qu’employeur pour se prémunir des conflits d’intérêt. L’entreprise peut par exemple indiquer qu’elle insère dans ses contrats de travail une clause interdisant à ses salariés de travailler pour une entreprise avec laquelle ils ont eu des relations depuis moins d’un an. Enfin, faire signer une lettre d’indépendance obligeant l’AMO à prévenir l’acheteur pour qu’il puisse prendre des mesures s’il y a des liens passés ou futurs avec un candidat. Pour Me Nauleau, il est important de contractualiser afin de pouvoir infliger des pénalités ou de résilier le marché en cas de non-respect de ces engagements. Contactés, les avocats des deux parties n’ont pas souhaité commenter la décision.