PCN et marché d’assurance : une union contestée

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Peut-on recourir à la procédure concurrentielle avec négociation pour choisir son assureur ? La question, qui provoque des débats, a récemment fait l’objet d’un litige lors d’un marché passé pour le compte d’un groupement hospitalier de territoire. Au final, le juge des référés a donné un avis favorable, estimant que, dans le cas d’espèce, le besoin ne pouvait être pourvu par la présentation d’offres standards déjà disponibles.

Dans le secteur de l’assurance, il y a les pro-PCN et ceux qui ne l’apprécient guère. Dernièrement, le Bureau européen d’assurance hospitalière (BEAH) a remis en cause l’attribution d’un marché piloté par l’hôpital de Nevers pour le compte d’un GHT et passé avec cette procédure particulière, introduite par la dernière réforme des textes. Pour mémoire, la PCN est autorisée dans six cas qu’énumère l’article 25 du décret de mars 2016, parmi lesquels l’impossibilité de satisfaire au besoin sans adapter des solutions immédiatement disponibles (1er alinéa), d’attribuer le marché sans négociation préalable du fait de sa nature, de sa complexité, de son montage juridique et financier ou des risques (4e alinéa), ou de définir les spécifications techniques avec une précision suffisante en se référant à une norme ou à un référentiel (5e alinéa). Que reprochait exactement l’assureur évincé au pouvoir adjudicateur ? D’abord que la PCN avait été employée illégalement. Le juge des référés du TA de Dijon ne l’a pas entendu ainsi. Il a considéré que le marché, un contrat d’assurances « responsabilité civile hospitalière » et  « protection juridique » pour une durée de 5 ans au profit de huit établissements de santé aux profils différents (hôpitaux, établissements pour personnes âgées, centres de long séjour) aussi bien en soin prodigués qu’en publics accueillis, correspondait bien aux situations prévues par l’article 25.  Rédigé avec l’aide d’un AMO, le cahier des charges ne pouvait permettre, à lui seul, « la présentation d’offres standard d’assurances déjà disponibles, sans adaptation de celles-ci, tant dans leurs prix que dans leurs modalités, eu égard à la complexité du montage juridique et financier à opérer, que ce soit pour le groupement hospitalier ou les candidats. Il y avait nécessité d’adapter les solutions proposées, qui pouvaient contenir des réserves ou variantes, aux niveaux des risques, aux besoins exprimés et aux possibilités financières de chacun des établissements. »

Complexe ou pas complexe ?


20141022rayssac_200b.jpg« Je n’avais pas trop de doutes. La matière est déjà compliquée pour un seul établissement hospitalier, alors pour un GHT… », réagit Rodolphe Rayssac (photo ci-contre), défenseur de l’attributaire, la société hospitalière d’assurance mutuelle (SHAM).

Compte tenu de ce processus inversé et des contraintes tant réglementaires que prudentielles auxquelles les assureurs sont soumis, l’adéquation entre le besoin décrit dans le cahier des charges et la prestation d’assurance que l’assureur est en mesure de délivrer n’est pas immédiatement acquise

« Par principe (hors procédure de marchés publics), les contrats d’assurance sont des contrats d’adhésion, c’est-à-dire des contrats types rédigés par les assureurs auxquels les assurés adhèrent. Or, dans le cadre des marchés publics, le processus est inversé puisque c’est le pouvoir adjudicateur qui rédige les termes de la prestation d’assurance répondant à son besoin invitant, dans un second temps, les assureurs à candidater et à accepter de délivrer la prestation décrite au tarif qu’ils déterminent. Compte tenu de ce processus inversé et des contraintes tant réglementaires que prudentielles auxquelles les assureurs sont soumis, l’adéquation entre le besoin décrit dans le cahier des charges et la prestation d’assurance que l’assureur est en mesure de délivrer n’est pas  immédiatement acquise », développe-t-il pour défendre le recours à la PCN.  « Cette décision est très critiquable », déclare en revanche Me Juffroy, conseil de la société requérante, qui relève que le juge « a fait un mix entre le 1° et le 4° difficilement compréhensible ».  L’avocate estime que les conditions requises pour une PCN n’étaient pas au rendez-vous. « Le CH de Nevers s’était adjoint les services d’un AMO professionnel de l’assurance qui avait examiné et défini les besoins des 8 établissements du GHT, établi un cahier des charges très précis comprenant notamment des conditions particulières (11 pages) et des conventions spéciales (de 68 pages) pour chacun des 8 établissements détaillant la nature et l’étendue des garanties, le champ d’application territorial… Il n’y avait là rien de complexe. Et le règlement de la consultation offrait aux candidats la possibilité de formuler des réserves et des variantes, précisément pour adapter leurs offres. »

Le choix de la procédure peut-il léser un candidat ?


Selon elle, passer un marché pour le compte d’un GHT n’est pas en soi un facteur de complexité. « Il s’agit ni plus ni moins d’une sorte de groupement de commandes qui lance un marché pour les besoins de ses membres, qui sont clairement identifiés en termes de garanties à couvrir et de leur étendue, pour chacun, sans qu’il y ait besoin de définir une solution assurantielle innovante. Les besoins assurantiels des établissements de santé sont d’ailleurs juffroy.jpgfixés à l’article L. 1142-1 du code de la santé publique », rappelle Me Juffroy (photo ci-contre)  qui note par ailleurs que le GHT concerné a passé, sous la forme d’un appel d’offres ouvert, une consultation autrement plus complexe pour la passation d’un marché d’assurances multirisques.  Que le magistrat ait balayé la possibilité que l’erreur de procédure ait altéré la présentation de l’offre de BEAH l’irrite au plus haut point.

Le juge dit que personne ne sait quel aurait été le résultat d’un appel d’offres. Et c’est bien ça le problème

« Le juge dit que personne ne sait quel aurait été le résultat d’un appel d’offres. Et c’est bien ça le problème », poursuit-elle en citant la décision département du Cher du Conseil d’Etat (14 décembre 2009, n°330052) au sujet d’une entreprise lésée par le choix d’une procédure négociée. Un des autres motifs soulevés était l’absence de mention des exigences minimales qui ne pouvaient pas faire l’objet de négociations, autrement dit une violation des articles 71 et 73 du décret de mars 2016. Bien qu’il reconnaisse le talon d’Achille dans le RC, le magistrat a botté en touche, estimant que l’ensemble des candidats a été « placée dans une situation identique » tout en notant que la société requérante n’a formulé aucune remarque sur le sujet pendant la procédure. Au final, la requête du BEAH est rejetée. « Jusque-là enfermés dans la procédure d’appel d’offres, les acheteurs peuvent désormais recourir à la PCN pour déterminer qui des assureurs soumissionnaires propose l’offre économiquement la plus avantageuse », conclut Me Rayssac. Reste que ce contentieux connaîtra peut-être d’autres développements.