Contentieux : invoquer l’irrégularité d’une offre pourtant classée

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A l’occasion de deux récents litiges devant un tribunal administratif, le juge a accepté, pour rejeter les requêtes, l’argument de l’irrégularité des offres alors même qu’elles avaient classées par le pouvoir adjudicateur. Au-delà du bien-fondé juridique, on peut se demander si ce type de décisions, qu’une entreprise aura bien du mal à comprendre, n’est pas du genre à décourager les opérateurs économiques de soumissionner aux marchés publics.

« Le fait qu’une offre soit classée n’empêche pas, dans le cadre d’un référé, de revenir sur le sujet de son caractère irrégulier », avertit Me Valérie Brault, avocate au cabinet Palmier et associés, qui appuie son propos avec plusieurs décisions du Conseil d’Etat. La haute juridiction a en effet admis que l’irrégularité d’une offre puisse être invoquée pour la première fois dans le cadre d’une instance en référé précontractuel (CE, 27 octobre 2011, département des Bouches du Rhône, req. n°350 935 ; CE, 2 octobre 2013, département du Lot-et-Garonne, req. n° 368 900). Et ce y compris lorsque le pouvoir adjudicateur n’avait pas initialement écarté l’offre du requérant comme irrégulière (CE, 15 février 2013, Commune de Monéteau, req. n°364 203), insiste l’avocate qui a soulevé ce motif à l’occasion de deux récentes ordonnances de tribunal administratif.  Dans le premier cas, elle avait attiré l’attention du magistrat sur le fait que le dossier de l’entreprise requérante, qui avait répondu à un appel d’offres d’un marché de travaux du département du Gard et qui avait classée 2ème, ne reprenait pas le cadre du mémoire technique. Tout en reconnaissant que la société « était en droit de fournir un mémoire non rédigé sur le cadre en cause », le juge avait toutefois indiqué que l’offre devait contenir les mêmes rubriques dès lors que celles-ci devaient faire l’objet d’une « notation à part entière ». Comme l’entreprise n’avait pas respecté cette exigence, son offre était irrégulière. Considérant que la non-conformité ressortait d’un simple examen des documents, le magistrat avait donc rejeté la requête de suspension du lot incriminé (TA de Nîmes, 9 novembre 2017, Société Recolor).  Dans le second cas de figure, la société requérante, qui avait candidaté à un marché de nettoyage lancé par l’établissement public du château de Versailles, avait aussi été classée (en troisième position).  L’entreprise évincée, qui estimait qu’elle n’était pas en mesure de comprendre la différence entre sa note et celle de l’attributaire et que son offre avait été dénaturée, exigeait de connaître la note de la valeur technique.


Offre irrégulière mais a posteriori


Ici aussi, la défense a cherché à démontrer que l’offre de TFN était irrégulière. Les exigences de l’article 4.4 du CCTP concernant les prestations en matière d’encadrement n’avaient pas été respectées : il n’y avait pas de personnel prévu le dimanche entre 13 et 16 heures et le lundi entre 18 et 20 heures s’agissant des blocs sanitaires, alors que la personne publique le demandait. Un manque mentionné dans le rapport d’analyse des offres. L’entreprise a eu beau arguer que l’absence était mineure et que l’offre était altérée et non irrégulière, le juge ne l’a pas entendu de cette oreille et a balayé sa demande d’annulation et de communication des notes : « un candidat dont l’offre est irrégulière n’est pas susceptible d’être lésé par les manquements qu’il invoque, sauf si cette irrégularité est le résultat du manquement qu’il dénonce, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. » Pour le magistrat, « alors même que son offre a été classée à l’issue de la procédure », l’entreprise n’est pas fondée à demander la communication des informations qu’elle sollicite ni l’annulation de la procédure (TA de Versailles, 29 août 2018, société TFN).  Avocate au cabinet Vedesi, Laure Thierry met l’accent sur la nécessité d’un lien entre l’irrégularité de l’offre ou de la candidature et les manquements invoqués dans les solutions du Conseil d’Etat de 2011 et 2013 précitées. Elle renvoie par ailleurs à deux autres décisions plus récentes de la haute juridiction (3 décembre 2014, département de Loire-Atlantique, req. n°384180 et 384222 ; CE, 24 févr. 2016, req. n° 394 945, Syndicat mixte pour l'étude et le traitement des ordures ménagères de l'Eure). Lors du premier contentieux (le candidat avait communiqué une copie et non le formulaire de candidature DC1 comportant une signature originale de la personne habilitée à engager l'entreprise), les sages du Palais Royal ont considéré que le pouvoir adjudicateur avait la faculté de rejeter ou de solliciter une régularisation, et qu’à défaut, il ne «  saurait utilement se prévaloir, en défense devant le juge des référés précontractuels, du seul caractère incomplet du dossier de candidature de la société requérante pour soutenir que son argumentation tirée du ou des manquements invoqués serait inopérante. »

Une décision choquante ?



Dans le deuxième cas, la haute juridiction a considéré que l’acheteur, en cas de doute sur la capacité du signataire de l’acte d’engagement, pouvait demander à l’entreprise de régulariser sa situation au stade de la candidature. Et qu’à défaut, il ne pourrait plus se prévaloir de cette irrégularité pour faire échec à un référé précontractuel (lire notre article sur le sujet en lien en bas de page). Bien qu’elles concernant des d’irrégularités au stade de la candidature, ces deux décisions permettent de s’interroger. Par ailleurs, s’il est évident que les cabinets d’avocats ne font que leur travail en recherchant tous les moyens susceptibles  d’emporter  la partie, ce type de jugement ne risque-t-il pas d’écorner l’image de la commande publique -  déjà peu reluisante chez bon nombre d’opérateurs économiques -   alors que l’attractivité des appels d’offres n’est pas toujours au beau fixe et que nombre d’acheteurs publics rament pour convaincre des prestataires de soumissionner ?   A titre personnel, Me Laure Thierry ne cache pas qu’elle trouve la décision « choquante »  car un pouvoir adjudicateur s’engage lorsqu’il décide de classer une offre. « En droit, la décision est logique, estime pour sa part Me Antoine Woimant (cabinet MCL),  pour autant, je comprends que cela soit difficilement compréhensible pour un chef d’entreprise. Il arrive souvent qu’une offre ne soit pas conforme à 100% au cahier des charges. Et cela se traduit en général par une note technique moins bonne. D’autre part, on peut penser que si le pouvoir classe une offre, c’est qu’il l’a jugée suffisamment acceptable. Mais dans un contentieux, on  s’accroche à tout ce que l’on peut. »