Pénalités de retard : impossible d’en faire un critère de jugement

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Non exhaustivement listés par les textes, les critères de jugement des offres laissent la place à l’imagination des acheteurs. La réglementation pose des bornes à la création mais celle-ci nécessite une interprétation textuelle. La communauté de communes de l’Arpajonnais a ainsi choisi comme l’un de ses sous-critères techniques le montant des pénalités, dispositif que le Conseil d’Etat a censuré.

10% de la note globale, c’est le montant de la pondération choisie par le pouvoir adjudicateur pour un sous-critère « dépassement du délai », à l’occasion d’un marché de construction d’un gymnase, lancé avant la transposition des directives. Dans ce cadre, chaque candidat proposait la pénalité qui pourrait lui être affectée en cas de dépassement du délai contractuel. La philosophie était de démontrer à l’acheteur que le délai serait respecté en proposant une forte pénalité. Ainsi, la plus élevée obtenait la meilleure note et les autres propositions étaient évaluées proportionnellement. L’arrêt rendu par la CAA de Versailles le 22 juin 2017, qui avait admis le sous-critère en question, avait été largement commenté dans nos colonnes (voir notre article en lien en bas de page). Le Conseil d’Etat a statué à son tour sur sa légalité, sans toutefois se prononcer sur la méthode de notation. L’avocat conseil de la collectivité n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet, mais les autres professionnels du droit questionnés saluent la précision et la position de la juridiction suprême.  

Un critère qui ne permet pas d’évaluer l’offre


« Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment [liste des critères proposés]. D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché » dispose l’article 53-I du code. Les sages du Palais royal s’appuient sur ce texte pour considérer « qu'un sous-critère relatif au montant des pénalités à infliger en cas de retard dans l'exécution des prestations, qui n'a ni pour objet ni pour effet de différencier les offres au regard du délai d'exécution des travaux, ne permet pas de mesurer la capacité technique des entreprises candidates à respecter des délais d'exécution du marché ni d'évaluer la qualité technique de leur offre. »

Il y a un vice intrinsèque dans ce genre de constructions intellectuelles qui consistent à mélanger clauses et critères

Avocat de l’entreprise demanderesse, Me Cedric Uzan-Sarano  avocat au cabinet Rocheteau Uzan-Sarano, estime qu’ «  en 1 ère analyse il était possible de se dire que des pénalités plus élevées inciteraient le candidat à respecter les délais. Mais d’une certaine manière, on pouvait aussi considérer ce système paradoxal puisque l’idée est précisément que les délais soit respectés et non pas qu’il y ait des retards d’exécution dans le marché. Le critère litigieux n'ayant vocation à jouer par hypothèse qu'en cas de retard d'exécution, et donc d'inexécution satisfaisante du marché par l'attributaire, on comprend que le Conseil d'état ait estimé qu'un tel critère ne permettait pas intrinsèquement d'apprécier la capacité du candidat à exécuter le marché. »  « Il y a un vice intrinsèque dans ce genre de constructions intellectuelles qui consistent à mélanger clauses et critères », complète Me Thibaut Adeline-Delvolvé avocat associé, dirigeant des cabinets Citylex Avocats et Adminis Avocats.  Autrement dit, plus le candidat s’approche du respect d’une clause contractuelle, mieux il sera noté. Mais « si une offre n’est pas conforme aux clauses du contrat, la conséquence est son irrégularité et elle ne doit même pas être notée » objecte-t-il. La décision nous enseigne que ce critère  « est trop indirect et lointain et ne permet donc pas d’évaluer de façon suffisamment directe la qualité technique de l’offre » surenchérit Me Patrick Labayle-Pabet du cabinet Ravetto Associés. Pour lui, dans cette décision, il y a une approche restrictive du lien avec l'objet du marché ou ses conditions d’exécution.

Un caractère incertain


Pour écarter le critère, le Conseil d’Etat estime «  qu'en outre, la personne publique n'est pas tenue de faire application des pénalités de retard et le juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, peut, à titre exceptionnel, modérer ou augmenter les pénalités résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté ». Me Labayle-Pabet y voit une invitation à l’effectivité des critères mis en œuvre : la qualité de l’offre jugée ne doit pas être aléatoire et l’analyse doit permettre d’apprécier la performance véritable de la prestation qui sera réalisée. En raison de l’importante incertitude du risque, la proposition du candidat ne doit pas être à un jeu de hasard dominé par l’audace.

Nul ne peut prédire l’avenir et ne peut donc affirmer par anticipation que des délais contractuels seront respectés ou pas

« Nul ne peut prédire l’avenir et ne peut donc affirmer par anticipation que des délais contractuels seront respectés ou pas » car de nombreux événements peuvent survenir au cours de l’exécution, ayant pour origine le titulaire du marché, le maître de l’ouvrage ou tout autre intervenant, illustre Me Adeline-Delvolvé. « Je pense qu’il est assez sain, depuis cet arrêt du Conseil d’Etat, de considérer qu’on ne peut pas spéculer sur le respect des clauses contractuelles et qu’on ne peut accorder un bonus de points à qui s’engage dans ce respect car tous les candidats doivent s’y engager de la même manière. Ce n’est pas sur ce terrain que l’on peut légalement les distinguer » poursuit l’avocat qui étaye son propos : « en revanche, si un pouvoir adjudicateur veut tester la réactivité d’un candidat ou lui donner une prime quant au respect des délais, il peut lui proposer de s’engager sur des délais inférieurs à ceux prévus au contrat et attribuer des points en conséquence ».