Journal intime d’acheteurs (2) : supporter d’être une fonction support

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L’acheteur travaille avec à peu près tous les services de sa collectivité ou de sa structure. Il noue aussi des relations avec les titulaires des contrats. Tel un VRP, il doit avoir un bon relationnel et se montrer bon communiquant. Oui mais voilà… ce n’est pas toujours simple. Après avoir parlé de leur métier, les acheteurs se confient, dans le deuxième volet de notre enquête témoignage, sur leurs relations dans le travail.

Qualifiée de "fonction support", l’acheteur public doit donc supporter ses collègues dans leurs achats. Accompagnement lors du lancement de la procédure, du choix du titulaire, résolution des difficultés pendant l’exécution. L’acheteur travaille ainsi avec presque tous les agents. Mais qui dit "conseil"  dit "relationnel". Et les rapports humains, ce n’est pas toujours simple ! L’acheteur se sent parfois comme la dernière roue du carrosse : « nous sommes des boucs émissaires !» confie un acheteur. «En bout de chaîne, nous sommes pointés du doigt, entre autres pour ce qui concerne les délais de traitement des dossiers» poursuit-il.
 

Trouver sa place

Prouver l’intérêt d’une réelle démarche achat n’est pas facile. Tout comme aider un technicien à réfléchir de manière différente peut-être mal perçu par lui

« Il n’est pas facile de trouver sa place au sein de sa collectivité » confie un acheteur. « Il n’y a pas de positionnement consacré, mais l’acheteur doit avoir suffisamment de légitimité pour agir sur les pratiques » poursuit cet autre. L’organigramme a donc bien toute son importance pour que l’acheteur se trouve renforcé dans sa fonction. Mais nulle possibilité de montrer son potentiel si l’on n’est pas sollicité. Il est souvent difficile d’expliquer que, pris en amont, la problèmatique trouvera solution plus facilement et sans prendre de proportions démesurées. Malheureusement, dans la plupart des cas, l’acheteur est appelé à la rescousse quand la maison est déjà en feu.
Nombre d'acheteurs indiquent également avoir des difficultés à démontrer leur plus-value, et à ne pas être perçus comme des « freins » en interne. Notamment, parce qu'ils veillent au respect des règles et de la procédure liée aux marchés. « Prouver l’intérêt d’une réelle démarche achat n’est pas facile. Tout comme aider un technicien à réfléchir de manière différente peut-être mal perçu par lui, car nous ne sommes pas des experts techniques » explique un acheteur. Pourtant, il est de l’intérêt de tous, pour un achat efficient, d’entretenir une collaboration entre les différents services. Si le dialogue est l'une des clés pour arriver à la réussite, il n’est pas simple à instaurer, d’autant que d’un service à l’autre, le dialecte est parfois différent.
 

Pas toujours facile de se comprendre….

« Des dossiers urgents, il y en a tous les jours qui arrivent sur mon bureau !» ironise un acheteur. Et oui, le code prévoit des procédures dérogatoires dans ce cas. Mais la notion n’a pas la même définition pour le juriste ou pour les autres. Pas facile de contenter tout le monde ! Et s'agissant du respect de la règlementation, il n’est pas toujours simple de faire comprendre qu’il faut rester dans les clous. « Combien a-t-on eu de contentieux sur ce point ? me demandent parfois les techniciens. Au regard de ma réponse, ils en concluent :"Donc on peut faire ce qu’on veut !" ».

Je conçois bien qu'un technicien ne souhaite pas travailler avec une entreprise avec laquelle il a eu des difficultés sur un chantier antérieur, mais j’ai du mal à faire comprendre que l’analyse doit cependant  être objective.

Les enjeux du non-respect de la règle et le risque juridique sont en effet parfois compliqués à expliquer aux autres services pour qui les objectifs sont différents. Par exemple, suivant le côté où l'on se place, la traçabilité des démarches effectuées est très importante ou… une perte de temps. La négociation est  citée en exemple : « les services techniques souhaitent faire des auditions, mais ne veulent pas faire de compte-rendus». Cet acheteur fait part de ses inquiètudes et des risques ainsi encourus : d’abord, il faut avoir une trace de ce qui s’est dit en cas de contestation. Mais aussi parce que le projet est parfois amendé durant une entrevue à laquelle il n'a pas participé. Une telle traçabilité permet de vérifier qu'il n'y a pas eu de modification substantielle du contrat. "Modification substantielle du contrat"... une notion souvent étrangère à ceux qui n’ont pas le nez dans le code ! Cette problématique des changements « en cours de route » est également citée pour ce qui est de l’exécution : là encore, il est difficile de se comprendre.
L’analyse des offres constitue un autre point de confrontation. « J’ai du mal à faire comprendre que l’analyse doit être objective. Je conçois bien que le technicien ne souhaite pas travailler avec une entreprise avec laquelle il a eu des difficultés sur un chantier antérieur. Cependant, je ne peux satisfaire sa demande sur le fondement de ce seul constat. De même, le mémoire technique doit être analysé au regard des critères prédéterminés et de ce qu’il contient et non de l’expérience passée ». « Ce sont deux cultures qui se confrontent » résume un acheteur.
 

La pression

Les acheteurs sont soumis à la pression dans leur quotidien. Une pression aux origines diverses.
D'abord, la pression qui vient des relations humaines : pas facile de faire accepter à un élu que, même s’il est compréhensible politiquement de souhaiter privilégier une entreprise locale, cela n’est pas possible au regard de la réglementation. Il est confessé que parfois, pour essayer de ménager la chèvre et le chou, des critères techniques laissant une certaine subjectivité sont retenus pour le jugement des offres...
Le rappel du respect de la règle n’est pas non plus une mince affaire : « Ce n’est jamais facile d’être le gendarme » confie un acheteur.

Ce n’est jamais facile d’être le gendarme

 « Nous devons supporter beaucoup de pression. Nous sommes pris entre beaucoup de contraintes, notamment le respect de la réglementation et la satisfaction du besoin de la collectivité. Pour ne pas être bloquant, nous sommes souvent amenés à choisir le moindre risque. Nous savons que la décision prise est attaquable, mais le danger est moindre face aux bénéfices » explique un acheteur. Dans ce cas, il propose différentes possibilités à sa hiérarchie qui peut ainsi trancher en connaissance de cause.

Le juge hante aussi les bureaux. Il y a le juge administratif, mais aussi son confrère au pénal. Le délit de favoritisme est pointé : « c’est un délit quasi objectif qui va au-delà de l’intention » s’inquiète un acheteur. Me Levent Saban (cabinet Philippe Petit et Associés) l’avait soulevé dans nos colonnes (lire l’article) : « C’est tout le problème de ce délit, c’est qu’il vient attraper des situations de bonne foi pour des acheteurs publics parce que, sans le vouloir et sans le savoir, ils ont porté atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats sur une analyse, sur l’élaboration d’un cahier des charges.. mais il n’y avait pas d’intention de favoriser ».

Signe des temps, cette pression vient aussi désormais de l’usager : « Avec les réseaux sociaux, tout va plus vite. Auparavant, lorsqu’un usager était mécontent ou qu’un citoyen voulait que des travaux soient exécutés dans sa rue, il devait faire un courrier, entamer une  démarche. Maintenant, lorsqu’il s’agace, il envoie un message via les réseaux sociaux. Quelques minutes après, on vient me voir pour savoir s’il y a un marché permettant de répondre à la demande » relate un acheteur...