[Interview] Thomas Lesueur : «L'achat durable ne doit plus être la préoccupation des seuls services commande publique : c'est un sujet politique»

partager :

Le Plan national des achats durables (PNAD) fête ses deux ans. Thomas Lesueur, Commissaire général au développement durable (CGDD), en dresse un bilan. Et annonce aux lecteurs d'achatpublic.info la mise en ligne, d’ici l’été, d’un portail Internet dédié aux achats durables, l'augmentation du nombre de facilitateurs de clauses sociales, la progression de "ecobalyse".... « Le PNAD continue à s’enrichir et à s’adapter au fil de l’eau pour prendre en compte les évolutions du cadre législatif en matière d’achats durables !»


« Lancé en mars 2022, le Plan national pour des achats durables porte déjà ses fruits avec des résultats très positifs sur la sensibilisation et de mobilisation des acteurs » se réjouit Thomas Lesueur, Commissaire général au développement durable. Il annonce de nouvelles avancées significatives : mise en place d'un portail achat durable, augmentation du nombre de facilitateurs de clauses sociales...

 

Quel bilan tirez-vous de ces deux premières années du PNAD ?

Thomas Lesueur - En fixant deux objectifs ambitieux, à savoir 100% des contrats de la commande publique avec au moins une considération environnementale et 30% une considération sociale, le PNAD permet aux acteurs publics de s’approprier les exigences de la loi "Climat et Résilience" et de les sensibiliser à la nécessité de se préparer dès maintenant pour être prêts pour le rendez-fixé par la loi en 2026. On peut d’ailleurs mesurer la forte mobilisation des acteurs publics. En effet, le nombre de membres de la plateforme Rapidd, qui rassemble la communauté des acheteurs publics durables, a été multiplié par 4 en 2 ans et compte à date, environ 6 000 membres.

De plus, nous avons lancé fin 2022 la première édition de la "Mission SPASER" afin d’aider une vingtaine de collectivités territoriales à engager l’élaboration de leur schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables, dits SPASER.Forts de cette expérience, nous avons lancé, fin 2023, un nouveau parcours d’accompagnement « Mission SPASER II », qui s’adresse cette fois-ci à un public encore plus large afin de prendre en compte le nouveau périmètre d’assujettis fixé par la loi « Industrie Verte », qui comprend désormais tous les acteurs soumis au code de la commande publique dont les dépenses annuelles dépassent les 50 millions d'euros annuels. Le prochain atelier, prévu le 26 mars prochain, compte déjà plus de 150 inscrits !

Fin 2023, nous avons aussi mis en ligne un « MOOC » dédié aux achats durables, gratuit et accessible à tous les acteurs publics comme privés. A ce jour, plus de 1000 inscrits ont entrepris la formation. 

 

De quels indicateurs d’efficacité du PNAD disposez-vous ?

Thomas Lesueur - Les données 2022 publiées récemment par l’Observatoire économique de la Commande Publique (OECP) témoignent d’une nette progression de la prise en compte des dimensions environnementale et sociale dans l’achat public. En effet, le nombre de marchés publics comportant une clause environnementale a augmenté de plus de 10 points en 2022 par rapport à 2021.En montant cela correspond à 37 % des marchés publics en 2022, contre 22 % en 2021.

Le nombre de marchés publics comportant une clause environnementale a augmenté de plus de 10 points en 2022 par rapport à 2021

Une telle progression n’avait jamais été enregistrée. Concernant le volet social, le nombre de marchés publics comportant une clause sociale a augmenté de 9 points en 2022 par rapport à 2021. En termes de montants, cela représente 32 % des marchés publics : soit + 17 points par rapport à 2022. C’est la preuve que les choses bougent !


L’objectif 1 du PNAD, 100 % des marchés notifiés en 2025 comprenant au moins une considération environnementale, vous semble-t-il d’ores et déjà atteignable ?

Thomas Lesueur - Comme le montrent les chiffres produits par l’OECP, il y a une progression indéniable dans l’integration de considerations environnementales. Bien-sûr, il reste encore beaucoup à faire et nous mettons tout en œuvre pour embarquer tous les acteurs et les accompagner dans l’atteinte des objectifs fixés par le PNAD en anticipation de la loi Climat & Résilience.

La promotion de l’achat durable constitue un volet essentiel du PNAD pour que l’enjeu de l’achat durable soit l’affaire de tous. Notre objectif pour l’année à venir est de continuer à faire connaitre ces dispositifs, au-delà des acteurs déjà convaincus, de sensibiliser les décideurs et de renforcer le lien avec les entreprises.

C’est pourquoi, j’ai le plaisir de vous annoncer la mise en ligne, d’ici l’été, d’un portail Internet dédié aux achats durables, accessible à tous ! Cette plateforme sera le point d’entrée vers différents types de ressources : documentations, formations, événements et accompagnement opérationnel. Il permettra aussi aux collectivités qui le souhaitent de déposer leur SPASER, le législateur ayant prévu une obligation de publication de ces schémas.


Le PNAD vous parait-il aussi encourager suffisamment les objectifs « sociaux » ?

Thomas Lesueur - Le PNAD n’avancera vraiment que s’il s’appuie sur ses deux jambes : sociale et environnementale !
Sur le volet social, les chiffres de l’OECP montrent qu’en valeur l’objectif du PNAD est déjà atteint. Il y a eu un réel investissement public dans le réseau de facilitateurs et de coordinateurs sociaux qui s’est densifié : on compte désormais 600 ETP de facilitation et de coordination sur l’ensemble du territoire.

Le PNAD n’avancera vraiment que s’il s’appuie sur ses deux jambes : sociale et environnementale !

L’objectif porté par la DGEFP, d’ici 2025, est de poursuivre la structuration du réseau ainsi que sa professionnalisation et bien sûr d’en promouvoir sa connaissance. L’enjeu est aussi de maintenir cette dynamique dans un contexte où les demandes de facilitation ne font qu’augmenter.

 

Vous considérez que l’achat public durable doit produire un effet de « ruissellement » sur l’ensemble de l’économie. Le constatez-vous ?

Thomas Lesueur - D'ici 2026, tous les contrats de la commande publique devront intégrer une dimension environnementale. Cela veut dire que les 200 milliards de dépenses par an d'achats publics (10 % du PIB) vont ainsi contribuer à la transition écologique et solidaire. C’est un signal économique majeur à destination des entreprises les encourageant à développer une offre plus durable qui rencontrera une demande publique massivement orientée en ce sens.

Par son effet d’entraînement, la commande publique est un levier de transformation de notre économie. Elle contribue à faire émerger et à déployer des pratiques vertueuses, notamment en matière d’économie de la fonctionnalité, de réemploi des produits, de préparation à la réutilisation des déchets et de production de biens et services incorporant des matières issues du recyclage. Pour appuyer cela, le nouveau décret d'application de l'article 58 de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire renforce les objectifs assignés à l'État, aux collectivités et à leurs groupements d'acquérir tous les ans une proportion minimum de biens réemployés, réutilisés ou de biens contenant de la matière recyclée (NDLR : relire "Réemploi, réutilisation et recyclage : des obligations d’achat étendues").


Les guichets verts sont-ils suffisamment sollicités et remplissent-ils leurs missions ?

Thomas Lesueur - C’est une innovation du PNAD. Ce dispositif, lancé à titre expérimental, progresse. Il va bientôt fêter son deuxième anniversaire et a déjà répondu à plus de 1000 sollicitations ! En 2022 nous avions lancé le dispositif avec sept guichets verts, aujourd’hui, il en existe onze couvrant la majeure partie du territoire (en Auvergne-Rhône-Alpes, dans le Bas-Rhin, la Bourgogne Franche Comté, la Bretagne, le Centre-Val de Loire, les Hauts de France, l’Ile-de-France, la Normandie, les Pays de la Loire, en Nouvelle-Aquitaine, en Occitanie, en Provence-Alpes-Côte d’Azur ainsi qu’à la Réunion et à Mayotte).

Le ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires soutient fortement la constitution de ce dispositif territorial de conseil gratuit pour tous les acheteurs publics qui est porté par les réseaux régionaux de la commande publique en partenariat avec l’Etat.


Les outils d’auto-analyse et d’évaluation des achats durables sont-ils disponibles ?

Thomas Lesueur - Oui, dans le cadre du PNAD, nous proposons en effet un outil d'autodiagnostic permettant à chaque organisation (collectivité, hôpital, établissement public, etc.) d'évaluer sa maturité achats durables dans une perspective d'élaboration du SPASER.
Nous avons des retours très positifs sur cet outil, d’ores-et-déjà accessible sur la plateforme RAPIDD, et qui permet aux acteurs publics de faire un état des lieux de leurs pratiques et de mesurer leur niveau de maturité et d'identifier les points d'amélioration à travers des pistes d'actions concrètes.
Le parcours SPASER, que j’ai évoqué précédemment, vise notamment à accompagner l’ensemble des acteurs publics dans cette démarche vertueuse ! 


Pouvez-vous nous en rappeler les objectifs du label "Greentech Innovation" ?

Thomas Lesueur - L’innovation et l’achat durable sont des concepts qui peuvent être tout à fait liés. C’est pourquoi a été créé, il y a 8 ans, un label Greentech Innovation qui permet d’identifier des entreprises innovantes qui offrent des solutions pour mettre en œuvre la transition écologique plus rapidement et avec plus d’impact. Le label se veut aussi être la réponse à la problématique de la visibilité des entreprises éco-innovantes.
Notre objectif est de répertorier les start-up et les PME françaises, innovantes et durables, sur les thématiques phares des enjeux de transition (mobilités durables, énergies renouvelables, bâtiments et villes durables, numérique responsables, finances durables, etc), notamment pour leur permettre de contractualiser plus facilement.
L’Etat accompagne ces entreprises et joue un rôle de tiers de confiance pour les acheteurs publics et privés.


Ecobalyse, « calculateur pédagogique et collaboratif », verra-t-il le jour cette année ?

Thomas Lesueur - En un mot : oui ! Une première version provisoire d'Ecobalyse est d'ores et déjà en ligne. Elle permet de se familiariser avec l'outil de modélisation des impacts environnementaux.
Toutefois, la méthode aujourd'hui exposée ne correspond pas à la méthode réglementaire que le Gouvernement pourrait mettre prochainement en consultation. Celle-ci devrait notamment intégrer un volet relatif à la durabilité qui permettra de distinguer les produits de la « fast fashion » des produits des marques traditionnelles ou éthiques.


De nombreux Spaser sont publiés ou mis à jour. Le Spaser est-il un élément clé de réussite du PNAD ?

Thomas Lesueur - Le SPASER est en effet un élément de réussite du PNAD, mais l’enjeu va bien au-delà ! Cette demarche est surtout un levier pour mobiliser en interne tous les acteurs et faire émerger un consensus entre élus et techniciens sur une stratégie d’achat, en lien avec les politiques publiques portées par le territoire. La construction du SPASER peut mobiliser également des acteurs en dehors de la structure publique, entreprises ou usagers des services publics par exemple, pour mobiliser autour d’un projet de territoire.

Le préalable au développement d’une politique achat durable pérenne et à impact est l’implication des décideurs dans sa mise en place et sa mesure d’impact

En effet, le préalable au développement d’une politique achat durable pérenne et à impact est l’implication des décideurs dans sa mise en place et sa mesure d’impact. Ce ne doit plus être une préoccupation uniquement des services de la commande publique, mais aussi un sujet politique, d’autant que les axes stratégiques de la politique achat vont se traduire financièrement et potentiellement en externalités positives sur le territoire.

C’est aussi pour ces motifs que le législateur a souhaité, à travers la loi « Industrie Verte », renforcer le rôle des SPASER dans cette transition, en étendant l’obligation de la mise en place d’un SPASER à tous les acteurs soumis au code de la commande publique, en donnant la possibilité de le mutualiser avec d’autres collectivités mais en intégrant un certain nombre d’objectifs afin de contribuer à réduire plus globalement de l’empreinte environnementale et énergétique des territoires.


Les « sujets » actuels de la commande publique, c’est l’accessibilité de l’achat public aux PME et la « simplification ». Quel rôle joue, ou devrait jouer le PNAD dans ce cadre ?

Thomas Lesueur - L'accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique est essentiel pour le développement économique des territoires, la croissance de ces entreprises et le développement durable. L’un des objectifs de la loi Industrie verte est d'accroître l'accès des entreprises vertueuses à la commande publique, en renforçant la prise en compte de la qualité environnementale des prestations des candidats aux contrats de la commande publique. En effet, la loi incite les acheteurs publics à tenir davantage compte des critères environnementaux pour l'attribution de leurs marchés publics par rapport aux critères purement financiers.

Le sujet de l’achat durable ne concerne pas que les acteurs publics. L’implication du secteur privé est décisive car il ne peut y avoir de transition écologique sans transformation des chaînes de valeur et des modèles d’affaires

Ces mesures renforcent les obligations prévues par la loi Climat et résilience.
L’ensemble des outils proposés dans le cadre du PNAD vise à accompagner les acheteurs publics et privés à s’approprier cette réglementation stricte et à privilégier les performances d'un point de vue environnemental.

Comme vous le voyez, le sujet de l’achat durable ne concerne pas que les acteurs publics. L’implication du secteur privé est décisive car il ne peut y avoir de transition écologique sans transformation des chaînes de valeur et des modèles d’affaires.


Si vous deviez publier, maintenant, un nouveau PNAD… en quoi différerait-il de l’actuel ?

Thomas Lesueur - Le PNAD actuel propose une demarche novatrice, constituant une feuille de route très opérationnelle pour l’ensemble des acteurs publics comme privés et en leur mettant à disposition une palette d’outils de formation et d’accompagnement. Je salue les résultats réalisés depuis le lancement du PNAD, la mobilisation de nos partenaires ministériels dans sa mise en œuvre ainsi que la mobilisation des parties prenantes.

Le PNAD continue à s’enrichir et à s’adapter au fil de l’eau pour prendre en compte les évolutions du cadre législatif en matière d’achats durables, notamment le décret à venir portant une entrée en vigueur anticipée de l'article 35 de la loi climat et résilience pour certains marchés et catégories de concessions ainsi que de futures actions pour contribuer à l’adaptation au changement climatique.
C’est donc un cadre d’action dynamique, qui s’adapte aux enjeux actuels et à venir.